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« Il faut penser plus large que l’objectif financier »

Le point sur | publié le : 07.02.2022 | Lucie Tanneau

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« Il faut penser plus large que l’objectif financier »

Crédit photo Lucie Tanneau

Navi Radjou a publié en novembre dernier une note pour le think tank Terra Nova sur le partage interentreprises1. Selon lui, la France manque de plateformes pour automatiser la démarche.

Les entreprises sont-elles entrées dans l’économie de partage ?

Nombre de plateformes naissent pour faciliter la mise en relation. En Chine, Alibaba a commencé en février 2020 un plan de partage de main-d’œuvre, facilité par le gouvernement. Au Royaume-Uni, qui ne peut plus dépendre des talents européens depuis le Brexit, une plateforme permet le partage interentreprises. Aux États-Unis, Accenture et quatre entreprises ont développé une plateforme employeurs-employés dans une idée de partage proactif. En France, nous n’en sommes qu’aux prémices. Il manque des plateformes pour automatiser et faciliter le partage. Deux licornes potentielles travaillent sur le sujet (Factoryz et Collab/Connect). Il faut accélérer. Mais les investisseurs ne semblent pas encore conscients des enjeux…

Quels sont les objectifs ?

Ils sont multiples. Le maire de Tours, écologiste, va dévoiler une plateforme de partage pour faciliter l’économie circulaire. La présidente des Pays de la Loire, LR, a mis en œuvre une plateforme pour préserver l’emploi et les compétences dans un but économique. En Occitanie, la socialiste Carole Delga a mis en place du partage de main-d’œuvre dans un intérêt humain. Quant aux entreprises, il n’y a pas non plus de profil type. Le but peut être économique, écologique, social, de développement des compétences ou de l’innovation… Mais si l’objectif est financier, il faut penser plus large. Une entreprise qui recycle ses pièces détachées le fait pour des raisons économiques, comme 70 % des entreprises aujourd’hui. Mais, en réfléchissant à faire trier ces pièces en établissement et service d’aide par le travail (Esat), on atteint aussi des objectifs de RSE.

Dans votre note pour Terra Nova, vous donnez une feuille de route. Quelles sont les étapes ?

Le niveau 1 concerne les déchets car les entreprises les recyclent et ils peuvent devenir une matière première pour d’autres. Par exemple, les déchets d’acier peuvent être utilisés pour fabriquer du béton. Le niveau 2 concerne les actifs physiques (stocks, bâtiments, équipements, véhicules…). Le niveau 3 est le partage d’achats (via des coopératives d’achats, notamment). Une entreprise peut aussi acheter des produits plus durables grâce à des volumes plus élevés. Le niveau 4 s’applique aux salariés, avec trois cas de figure : des plateformes de recrutement comme Hydres, qui facilitent la mobilité définitive, d’autres comme Pilgreem, qui permettent des prêts temporaires, ou de type Vénétis, un groupement de PME qui recrute un expert en CDI et se le partage. Le niveau 5 s’adresse aux clients : je cite souvent l’exemple d’Orange, Kingfisher, Carrefour, Legrand, La Poste, SEB et Pernod Ricard, qui ont créé InHome, un incubateur d’innovation interprofessionnel dirigé par InProcess, afin d’imaginer des solutions pour les maisons de demain.

Faut-il revoir les notions de brevets ou de propriété intellectuelle ?

Absolument. Danone a décidé de partager ses brevets sur les souches de ferments lactiques pour améliorer la nutrition. C’est un partage éclairé. Mais, avant de s’intéresser au partage de la propriété intellectuelle, il faut déjà se pencher sur un autre problème. Selon la Commission européenne, 40 % des brevets sont sous-utilisés. Dès lors, il peut être utile de créer des licences pour les valoriser. En outre, il faut arrêter d’idéaliser l’inventeur individuel. L’INPI (Institut national de la propriété industrielle) doit éduquer les entreprises pour qu’elles travaillent ensemble et faciliter le dépôt de brevets collectifs.

Pour le prêt de main-d’œuvre, comment garantir une protection sociale aux salariés ?

La loi autorise ce prêt de main-d’œuvre avec le maintien du contrat de travail et donc du salaire et de la protection sociale. La loi est claire aussi sur le fait qu’une entreprise ne peut pas faire de bénéfices grâce au prêt de main-d’œuvre. Cette précaution assure que la pratique ne se transforme pas en un outil capitaliste. Cela dit, les dérogations (formalisme moins contraignant, caractère non lucratif assoupli…) issues de la crise pourraient devenir pérennes, c’est en tout cas la proposition de l’économiste et député (Modem) des Yvelines, Jean-Noël Barrot.

(1) La Révolution du partage, par Navi Radjou, publié le 18 novembre 2021. www.tnova.fr

Auteur

  • Lucie Tanneau