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Lieux de travail : le match domicile/bureau est lancé

Le point sur | publié le : 31.01.2022 | Gilmar Sequeira Martins

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Lieux de travail : Le match domicile/bureaux est lancé

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Mises en concurrence avec le domicile et les tiers-lieux par le télétravail, les entreprises concentrent les activités d’échanges et de collaboration sur leurs sites. Une spécialisation qui les amène aussi à repenser leurs locaux.

Le télétravail s’installe et commence à modifier les fonctions des différents lieux d’exercice des activités… « Les locaux de l’entreprise doivent répondre à deux attentes majeures : d’un côté, la collaboration, la construction de l’esprit d’équipe et la cocréation, et de l’autre, la convivialité qui permet de vivre des moments agréables et d’éviter l’isolement », souligne ainsi Dominique Delattre Demetz, membre du comité directeur de l’Arseg1 et directrice de l’environnement de travail du siège social de Saint-Gobain. Autre avantage des locaux de l’entreprise : ils participent à la fabrique du sentiment d’appartenance et sont un espace assurant la reconnaissance des qualités et de la contribution des collaborateurs par leurs pairs et la hiérarchie. Atouts dont ne dispose pas le tiers-lieu. D’autant qu’il est plus difficile « de fidéliser les salariés qui sont sur des tiers-lieux. Or la fidélisation est un grand enjeu des années à venir », ajoute-t-elle.

Mais quid de l’organisation du travail ? La diffusion des outils et des pratiques digitales ne va pas forcément entraîner une évolution, estime Édouard Robin, chargé de mission à l’Anact dans le cadre de l’élaboration des solutions de transfert. « Elle dépend aussi du niveau de dématérialisation auquel est parvenue l’entreprise. La crise sanitaire a notamment accéléré les projets de dématérialisation des activités comptables ou fiscales », explique-t-il. Et au-delà d’une nouvelle organisation de travail, une répartition des tâches selon les lieux posera également la question des pratiques managériales. La dernière enquête de l’Apec réalisée en coordination avec l’Anact, diffusée en janvier, montre que près d’un tiers des entreprises sont prêtes à augmenter le télétravail, mais une large majorité (63 %) répond vouloir en rester au stade actuel. « Près de la moitié des managers (46 %) déclarent vouloir laisser plus d’autonomie à leurs collaborateurs, mais un quart déclarent effectuer plus de contrôle », relève ainsi Édouard Robin. Enfin, le dialogue social sera déterminant pour négocier les modalités de nouvelles organisations de travail au travers d’accords. Pour l’heure, il joue un rôle mineur, constate-t-il. « Nous avons observé que le nombre de négociations a augmenté, mais que les accords sur le télétravail touchent une minorité d’entreprises. Ces accords posent des règles, mais prévoient aussi des clauses de revoyure annuelles. Cela montre que nous sommes encore dans une phase de construction des pratiques et de retour d’expérience sur la période passée. »

Davantage d’espaces de collaboration

Malgré ces freins, les locaux des entreprises ont néanmoins entamé leur mue, avec une augmentation des surfaces dites de collaboration, au détriment de celles dévolues aux postes de travail individuels. « Aujourd’hui, il y a un équilibre entre ces deux types d’espaces, mais les espaces de collaboration vont continuer à gagner du terrain, note Dominique Delattre Demetz. J’observe aussi l’arrivée d’espaces avec des gradins, des postes de travail mobiles pour favoriser les rapprochements et surtout des espaces plus connectés pour réunir les personnes présentes avec celles en télétravail. » Autant de développements qui annoncent une évolution encore plus radicale. « Le poste de travail en tant que tel tend à disparaître. Dans l’entreprise du futur, les espaces de travail collaboratif seront sans doute dominants, avec de grandes tables propices au travail collaboratif et de moins en moins de postes individuels », avance-t-elle.

La transformation reste cependant l’apanage d’une avant-garde, tempère Matthieu Trubert, responsable à l’Ugict-CGT des questions de télétravail et de numérique. « Une très grande majorité des entreprises, peut-être 80 %, sont encore en phase d’apprentissage. Seule la minorité plus avancée est déjà dans la phase de transformation des locaux », dit-il. Et celles qui ont saisi cette opportunité pour réduire les coûts immobiliers auraient tort de croire que l’affaire est entendue, prévient en outre Édouard Robin : « Elles doivent anticiper que le télétravail peut être réversible et repose sur le volontariat. »La transformation des locaux doit aussi attirer l’attention des ressources humaines. La majeure partie des entreprises est engagée dans une transformation des open spaces en flex office, et celles qui sont en flex office vont vers des espaces de travail collaboratif, selon Matthieu Trubert. Or « les enquêtes menées par l’Ugict et l’Essec montrent que les salariés ont une appétence réelle pour le télétravail, s’il est bien encadré, et ils veulent autre chose que des open spaces ou a fortiori du flex office », souligne-t-il.

Quant aux espaces de coworking, leurs surfaces restent marginales malgré un développement rapide. Les avantages ne manquent pas. À commencer par la réduction, parfois substantielle, des coûts immobiliers. Autre atout non négligeable : la flexibilité du contrat. Avec un préavis d’un à trois mois, les clients peuvent réduire ou augmenter les surfaces qu’ils occupent. Enfin, ces locaux sont souvent animés par des équipes, comme chez WeWork. « Elles assurent l’accueil, gèrent le courrier et informent les utilisateurs sur les ressources du quartier, entre autres, détaille Rebecca Nachanakian, directrice générale de WeWork France et Europe du Sud. Ce sont d’ailleurs les échanges avec nos équipes que les utilisateurs apprécient le plus, d’après les données recueillies dans nos sondages. Nos locaux permettent d’augmenter la fidélisation des collaborateurs en leur fournissant de bonnes conditions de travail dans des quartiers animés. C’est un point important pour les entreprises, car les attentes des salariés ont changé. Ils souhaitent avoir plus de bien-être, évoluer dans un cadre motivant, se faire des amis, s’épanouir », relève-t-elle.

Le « coproworking », une solution ?

Plus marginal encore, le « coproworking » repose sur des locaux que plusieurs entreprises décident de gérer en commun pour y accueillir les salariés dont le domicile est trop éloigné de leurs sites. « Des expérimentations de ce type émergent notamment dans de grandes métropoles, explique Édouard Robin. Cela permet de pallier les difficultés de déplacement en offrant une option supplémentaire entre le travail sur site ou à domicile. » S’il peut sembler encore plus complexe à gérer que les espaces de coworking – puisqu’il implique un accord entre plusieurs sociétés, ce dispositif a le mérite d’attirer des compétences rares éloignées des sites des entreprises. Les secteurs et les branches souffrant de pénuries sévères de main-d’œuvre pourraient y trouver un moyen de pourvoir des postes tout en offrant à leurs futurs salariés une expérience collaborateur enrichie par les échanges avec des salariés d’entreprises aux activités connexes.

Axa forme à la gestion des espaces et des temps

Chez Axa, l’avenant du 9 décembre 2020 à l’accord sur le télétravail accorde à 8 000 salariés jusqu’à deux jours de télétravail hebdomadaires et deux demi-journées supplémentaires par mois. Le lieu de travail a déjà changé de physionomie, selon Amélie Watelet, la DRH : « Les salariés viennent sur site pour réaffirmer le lien social, mais aussi informel. Le premier motif qui les pousse à revenir est la convivialité avec leurs collègues, que ce soit pour fêter un succès, faire un brainstorming ou partager un café, qui est désormais gratuit. Le site est un repère du collectif. C’est le lieu de partage de la culture d’entreprise, de l’accueil des nouveaux arrivants et de la créativité. »

Au-delà de l’évolution des locaux, des formations ont été lancées pour « guider » managers et collaborateurs « vers une meilleure utilisation du temps et des espaces », précise-t-elle. Des dispositifs ont été mis place : des webinaires traitant de l’usage des outils et des locaux, et des accords d’équipes (« team agreements ») que chaque manager définit avec ses collaborateurs. « Ces accords permettent de coordonner la présence sur site et les usages du temps et des lieux, détaille Amélie Watelet. C’est une façon d’être au plus près des besoins des équipes pour construire une organisation fluide et partagée. Ce dispositif s’inscrit dans une dimension de « change management ». »

Le processus n’est pas pour autant achevé. « Nous sommes dans une phase d’ancrage, nous allons continuer à accompagner les managers et les collaborateurs pour favoriser l’acquisition des bonnes pratiques et rester attentifs aux signaux faibles. L’équilibre entre vie professionnelle et vie privée est essentiel », indique-t-elle. Elle estime cependant qu’il n’y aura pas de retour en arrière et tire de cette expérience un enseignement majeur : « Cultiver la confiance et la bienveillance sont les clefs de notre succès dans un monde hybride. »

(1) Association des directeurs de l’environnement de travail.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins