logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le point sur

Le dispositif Transitions collectives a du mal à s’imposer

Le point sur | publié le : 24.01.2022 | Dominique Perez

Image

Emploi : Le dispositif Transitions collectives a du mal à s’imposer

Crédit photo Dominique Perez

Avec l’idée que des secteurs et des métiers se remettraient difficilement des conséquences de la pandémie, Transco a été conçu dans l’urgence, au plus fort de la crise sanitaire. Il est exigeant et complexe. Mais des acteurs économiques, de l’emploi et de la formation veulent y croire...

Les promoteurs et initiateurs du dispositif Transitions collectives, abrégé en Transco, né le 15 janvier 2021, se retrouvent aujourd’hui face à une désillusion : le marché de l’emploi ne fonctionne pas forcément selon un automatisme qui voudrait que les postes non pourvus puissent simplement l’être, avec une formation et un accompagnement à la clé, par des demandeurs d’emploi ou des salariés dont les métiers sont menacés…

Le principe de Transco est louable : il vise à favoriser, à l’échelle d’un territoire, la mobilité professionnelle par des reconversions de salariés d’une entreprise en les orientant vers des emplois porteurs dans une autre. À la clé : une prise en charge de 100 % des salaires des personnes en reconversion par l’État pour les TPE-PME, de 75 % pour les entreprises de 300 à 1 000 salariés et de 40 % pour celles qui comptent plus de 1 000 salariés. Les associations régionales paritaires ATpro (Associations Transitions professionnelles) accompagnent et gèrent le dispositif.

Mais, sur le terrain, Transco tarde à faire ses preuves, hormis pour de grandes entreprises qui avaient déjà analysé, en amont, leurs besoins de compétences, et étaient prêtes à y investir le temps et les moyens nécessaires. Avec un montage et des résultats largement mis en avant par le ministère du Travail1, trois sociétés pionnières s’y sont engagées. Parmi elles, Monoprix, pour qui l’année 2020 et la crise sanitaire ont accéléré un processus déjà à l’œuvre, « la forte croissance de l’e-commerce et les transformations qui s’opèrent au sein de notre secteur, explique Sandra Hazelart, directrice des ressources humaines. À l’heure de la digitalisation des outils et des process, mais aussi des évolutions des modes d’achat, de nouveaux métiers se développent et d’autres se transforment. Cela s’illustre notamment par un fort recul des métiers de l’encaissement, du fait de l’augmentation des achats en ligne et d’une utilisation accrue des caisses automatiques ». Éviter bien en amont un éventuel plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) pour une catégorie de personnel dont les emplois sont menacés à plus ou moins long terme, en cherchant à identifier des mobilités internes mais aussi externes, tel est l’objectif principal d’une transition collective. Conscient de la nécessité de transformer rapidement ses métiers et des limites du repositionnement interne, Monoprix a ainsi saisi le dispositif lancé par le gouvernement en janvier 2021, en signant un partenariat avec le groupe Korian, spécialisé dans les métiers du grand âge. Quelque 34 hôtesses de caisse ont ainsi commencé leur formation d’aides-soignantes à la fin décembre 2021.

Meilleur avenir

Avant la grande distribution, l’opérateur de service Derichebourg avait également proposé à certains de ses salariés de bénéficier de la proposition de Korian. « Avec le corps social et les équipes RH, nous avons beaucoup réfléchi aux mobilités possibles pour les agents de propreté, dont les évolutions professionnelles au sein de l’entreprise sont peu évidentes, explique Malika Bouchehioua, directrice des ressources humaines. Avec la crise sanitaire et le développement du télétravail, nous devons, de plus, anticiper la réduction des surfaces des locaux d’entreprises où nous intervenons. Nous n’avons actuellement pas de risque de PSE, le secteur reste porteur, mais de manière individuelle, les collaborateurs seront confrontés à une modification de leurs conditions de travail, avec une baisse de leur temps de travail, ou une mobilité géographique qui risque de déséquilibrer leur vie personnelle. » Pour identifier les personnes pouvant être concernées, « nous avons choisi de les cibler, précise la DRH. Nous avons, au niveau territorial, des services RH qui connaissent très bien les équipes. Nous avons écrit à 300 personnes, 200 ont répondu, et une cinquantaine sont entrées dans le sas d’orientation organisé avec un partenaire extérieur, désigné par ATPro. Nous voulions maximiser les chances de réussite. Nous n’avons donc pas souhaité inscrire l’ensemble des salariés dans un parcours qui pourrait être décevant. » La première promotion est constituée de femmes, très majoritaires dans ces métiers, à 85 % en temps partiel, avec une moyenne d’âge de 40 ans et une ancienneté de trois ans au minimum.

Un long processus

En tant qu’entreprise accueillante, Korian, qui intègre 2 500 aides-soignants par an, a su convaincre plusieurs employeurs de s’inscrire dans un dispositif exigeant. « Pendant plus de deux ans, nous avons travaillé pour proposer un parcours de formation de 14 mois vers le métier d’aide-soignant, intitulé Passerelles, témoigne Nadège Plou, directrice des ressources humaines. Nous n’avons pas commencé par le plus simple, car il s’agit d’un diplôme d’État, et d’une formation longue. » Le parcours de transitions collectives vient en complément de recrutements directs et s’ajoute à d’autres initiatives de formation. « Nous avons déjà formé environ 300 ASH (agents de services hospitaliers) grâce à la VAE (validation des acquis de l’expérience) vers le métier d’aide-soignant, et avons aussi créé notre CFA en mai 2020, avec 400 apprentis. Le dispositif Passerelles permettra de former 150 à 200 personnes supplémentaires, venues d’autres entreprises, chaque année », ajoute-t-elle. Les premières promotions ont démarré en mai et en septembre dernier. L’insertion dans le cursus de formation est organisée après un sas dit d’orientation de cinq jours, comprenant notamment une évaluation des aptitudes comportementales et du niveau de français des candidats, un CEP (conseil en évolution professionnelle), ainsi qu’une immersion dans l’entreprise d’accueil. « Ensuite, une personne sur deux s’engage dans le dispositif », précise Nadège Plou. Munis d’une promesse d’embauche en CDI sous réserve d’obtention du diplôme, les salariés sont formés en partie en centre de formation, en partie sur le terrain. Ils bénéficient du maintien de leur contrat de travail et de leur salaire (à hauteur d’un temps plein, même quand ils ou elles travaillaient à temps partiel) versé par leur entreprise d’origine, que les salariés peuvent choisir de réintégrer à tout moment. Un tuteur est désigné par Korian, détaché à plein temps pour accompagner chacun cinq personnes en reconversion. « Notre souhait est d’étendre le dispositif à plusieurs régions, en nous rapprochant notamment des plateformes territoriales », précise-t-elle.

Lourdeurs pour les PME

Engagées dans une démarche avant tout sociétale, les entreprises concernées ne nient pas une certaine lourdeur du dispositif, qui « peut être un frein certain à l’engagement des petites entreprises », estime Malika Bouchehioua. C’est d’ailleurs là où, souvent, le bât blesse : « Transitions collectives suppose une anticipation et une prise de conscience souvent difficiles pour les PME, et notamment les plus petites », admet ainsi Laurent Gamber, chef de projet Transitions collectives en Pays de la Loire. Pourtant, il pourrait, selon les observateurs, représenter à terme un outil de sortie de crise essentiel. « Certains employeurs bénéficient encore aujourd’hui des aides de l’État et du chômage partiel mais, quand ce ne sera plus le cas, des secteurs en difficulté, comme celui des discothèques, vont être amenés à licencier. C’est ce que nous souhaitons éviter », poursuit-il.

Un pari sur l’avenir, c’est également ainsi que Constructys, Opco de la construction, considère Transco. « L’idée est de répondre à de fortes problématiques de recrutement, dans les métiers du bâtiment et des travaux publics, dans les domaines du gros œuvre, comme les maçons, mais aussi du négoce, pour les commerciaux ou magasiniers », explique Pascal Cabaret, chargé du dossier Transco de l’Opco. Un partenariat est en cours avec l’Opco EP (Entreprises de proximité) notamment en Bretagne, pour mettre en place des plateformes dans certains bassins d’emploi, en associant l’ensemble des Opco, et établir des passerelles entre des secteurs qui recrutent et d’autres qui font l’inverse. « Cela prend du temps, et nous en sommes au stade des premières réunions, pour étudier les possibilités de rapprochement. Mais la réussite passera par une approche très territoriale, car les problématiques ne sont pas identiques d’un bassin d’emploi à l’autre. Certains départements sont épargnés, d’autres beaucoup moins », conclut-il.

Les étapes d’une transition collective

1. Négociation d’un accord de Gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) pour établir la liste des emplois fragilisés.

2. Une fois conclu, l’accord est transmis en ligne à la DREETS (Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités).

3. Rapprochement avec une plateforme territoriale et/ou une autre entreprise recruteuse.

4. Information et identification des salariés concernés, participation sur la base du volontariat.

5. Établissement d’un dossier de demande de prise en charge de Transitions collectives pour les salariés et dépôt à l’Association Transitions pro (ATpro) de sa région pour l’instruction et la validation du dossier.

6. Les salariés concernés bénéficient d’un conseiller en évolution professionnelle.

(1) Le ministère du Travail n’a pas souhaité nous transmettre le dernier bilan de Transitions collectives.

Auteur

  • Dominique Perez