Par Marielle Babeau, consultante et chercheure à l’université Montpellier 3 Charles-Henri Besseyre des Horts professeur émérite à HEC Paris
Cette nouvelle année 2022, marquée par le déferlement du variant Omicron, renforce le besoin d’agir collectivement sur la question des mobilités professionnelles. Dans ce contexte de forts changements, qu’ils soient économiques, écologiques, numériques et désormais sanitaires, les transitions professionnelles ont plusieurs origines. Elles sont parfois générées par la perte d’emploi, mais aussi de manière significative par des projets de changement professionnel qui touchent 58 % des actifs en emploi1 ou par l’urgence de couvrir des postes actuellement en pénurie. Les mobilités professionnelles sont donc nombreuses et, à la fois, délicates à sécuriser, car changer d’entreprise en cette période troublée est un risque que les salariés évaluent avec prudence.
Les entreprises ont majoritairement pris la mesure du double enjeu de la mobilité dont l’utilité est décuplée si elle est au service des deux parties, c’est-à-dire quand changer de travail est utile à la fois au projet professionnel du salarié et au développement effectif de l’entreprise2. Ces actions internes vers une mobilité cogérée ont progressivement fait évoluer les pratiques de mobilité, passant de la prescription à la coconstruction. Ce changement de paradigme est profond, car il prend à la fois en compte les besoins de l’individu et ceux de l’entreprise afin que cette dernière puisse remplir son rôle d’acteur indispensable au fonctionnement de la société, comme le suggérait Pascal Demurger en 20193. Dans les faits, les entreprises qui coconstruisent les mobilités avec leurs salariés constatent qu’elles sont réussies quand elles s’appuient sur deux éléments principaux : le fait que les salariés puissent bénéficier d’un accompagnement de qualité par un tiers neutre, et le fait de connaître puis de communiquer sur les postes vacants.
À cette cogestion interne, déjà innovante, la crise sanitaire apporte un troisième pilier pour renforcer l’efficacité des mobilités professionnelles dans l’urgence : la coopération sur le territoire, qui devient ainsi un élément central pour trouver des solutions efficientes de mobilité en période Covid. Car, finalement, quoi de plus sécurisant que de passer d’une entreprise à une autre sans avoir à vivre de période de recherche d’emploi ? Autour de cette idée innovante, quelques rares dispositifs interentreprises étaient déjà à l’œuvre depuis presque dix ans. Puis, l’État a créé le dispositif « Transitions collectives » en 2021 qui repose précisément sur ce modèle à trois niveaux : 1. Accompagnement (par les conseils en évolution professionnelle – CEP) ; 2. Connaissance et vision de l’emploi des entreprises ; 3. Coopération territoriale interentreprises. Concrètement, cela a par exemple permis à des salariés de Monoprix d’aller travailler dans les services de soin à la personne en Ehpad chez Korian, sans avoir à vivre de période sans emploi, mais en étant inscrits dans un système de mobilité sécurisée4.
Si les réussites des dispositifs qui reposent sur ces trois piliers ont démontré une réelle efficacité, ils restent très complexes à mettre en œuvre. Que cela ne décourage pas, mais au contraire, encourage les DRH qui ont montré leur résilience et leur ingéniosité depuis le début de la pandémie. En effet, il est possible de construire des coopérations territoriales en interentreprises pour faciliter la mobilité professionnelle et apporter des solutions aux problèmes de l’emploi dans cette période de crise, tant sur le plan des sureffectifs que sur celui de la pénurie de compétences5. En outre, ce type d’expérimentation apporte de nombreux résultats positifs pour les DRH, comme le montre le Réseau emploi et mobilité interentreprises de Marseille, qui réunit quatre très grandes entreprises au service de la mobilité professionnelle territoriale interorganisationnelle. Ce dernier exemple est une belle illustration du concept de la gestion des talents à la demande popularisé par Peter Cappelli6, l’un des gourous RH aux États-Unis.
(1) Baromètre de l’institut Elabe pour l’Unédic, décembre 2021 (https://elabe.fr/unedic-barometre-chomage-3/).
(2) Babeau M., Transposition d’un modèle d’Espace Mobilité professionnelle interne à un réseau territorial, Thèse de Doctorat Phd, décembre 2021.
(3) Demurger, P. L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus, Éditions de l’Aube, 2019.
(4) Destombes C. : « Passerelles TransCo : Korian va former des salariés de Monoprix au métier d’aide-soignant », 21 mai 2021, CentreInffo.
(5) Besseyre des Horts, C. H. : « Pénurie des compétences : une fatalité ou une opportunité pour se transformer ? », Entreprise &Carrières, n° 1544, du 4 au 10 octobre 2021, p. 22.
(6) Cappelli, P. : Talent on demand : managing talent in an age of uncertainty, Harvard Business School Press, 2008.