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Inclusivité : La diversité cognitive, un nouveau champ d’exploration

Le pont sur | publié le : 17.01.2022 | Natasha Laporte

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Inclusivité : La diversité cognitive, un nouveau champ d’exploration

Crédit photo Natasha Laporte

Spectre autistique, troubles « dys » en tous genres, TDA-H, mais aussi haut potentiel intellectuel et hypersensibilité… La « neuro-diversité » commence à s’inscrire à l’agenda de certaines entreprises. Ces profils atypiques peuvent en effet apporter des compétences précieuses, de même qu’un regard sur le monde loin de la norme, un élément clé pour l’innovation et la résolution de problèmes, entre autres. À condition que managers et équipes soient sensibilisés et formés.

On les voit de plus en plus dans des séries à succès : dans HPI, produite par TF1, par exemple, le personnage principal est une femme de ménage surdouée, embauchée comme consultante par la police, tandis que le feuilleton suédo-danois Bron met en scène une détective hors norme dont le comportement suggère qu’elle pourrait être atteinte du syndrome d’Asperger. Ces personnages, de fiction certes, s’inspirent d’un phénomène réel : celui de la diversité cognitive, qui pourrait, selon certaines estimations, concerner jusqu’à 20 % de la population mondiale. Un terme aux larges contours, qui englobe un ensemble de variations de la cognition, autrement dit, des processus mentaux comme l’apprentissage, la mémoire, l’interprétation… de même que des situations très diverses. Il comprend ainsi aussi bien le spectre de l’autisme, les troubles de déficience de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA-H), la constellation des troubles « dys » (dyslexie, dyspraxie, dysgraphie, dysorthographie, dyscalculie…) qui peuvent être reconnus comme un handicap. Certains spécialistes y incluent également d’autres neuro-atypicités comme l’hypersensibilité et le haut potentiel intellectuel (HPI) qui, sans être associés au handicap, présentent néanmoins des atouts comme des faiblesses en lien avec leur singularité. Autant de profils qui intéressent de plus en plus les entreprises.

Un atout pour la tech

C’est notamment le cas d’Orange, qui a lancé en avril dernier son programme Neuroteam, afin de sensibiliser managers et collaborateurs à la diversité cognitive et favoriser ainsi l’insertion des personnes avec autisme Asperger et autres potentiels atypiques. Dans ce cadre, un groupe de travail pluridisciplinaire a vu le jour, réunissant experts, recruteurs, représentants de différents métiers et membres du réseau les Z’Atypiques, une communauté de salariés au sein du groupe qui dispose d’une plateforme sur le réseau social interne de l’entreprise. Ensemble, ils phosphorent sur des thèmes comme le recrutement, l’intégration et le management des collaborateurs neuro-atypiques. La raison ? « La diversité des pensées, le fait de traiter l’information et de voir le monde autrement, est un vrai potentiel de richesse, de créativité et d’innovation », explique Delphine Pouponneau, directrice diversité et inclusion chez Orange. « Nous recrutons beaucoup dans les métiers de la tech et nous nous sommes rendu compte que les profils Asperger, par exemple, avaient des compétences particulières pour ces métiers, mais des personnes dyslexiques peuvent aussi avoir des compétences intéressantes dans la résolution des cas complexes », développe-t-elle.

L’un des volets du programme Neuroteam d’Orange est d’abord le recrutement. « Nous travaillons avec des cabinets et des écoles spécialisés et nous commençons à avoir un vivier de candidats qui se sont manifestés », poursuit Delphine Pouponneau. En outre, « nous avons lancé un programme de formation au recrutement, car nous ne pouvons pas utiliser les process classiques pour ces profils ». Autre point clé, le management et le relationnel, une fois ces profils embauchés. « Il est indispensable de former tant les managers que les équipes », prévient Delphine Pouponneau. Aux RH de veiller à la bonne intégration des collaborateurs neuro-atypiques, en lien avec le management. « Chaque cas est unique et nécessite une adaptation personnalisée. Pour certains autistes Asperger, notamment, l’environnement de travail nécessite des aménagements, pour le rendre silencieux, par exemple », ajoute-t-elle. Mais au-delà de la performance, la diversité cognitive pose aussi la question du bien-être et de la qualité de vie au travail. « Il est essentiel de sensibiliser les collaborateurs neuro-divers pour qu’ils se sentent à l’aise pour s’exprimer », insiste cette responsable.

D’autres entreprises se mettent également en quête de talents atypiques, à l’instar de la start-up informatique Avencod, qui a développé une méthode pour augmenter l’employabilité des personnes atteintes de spectre autistique, tandis que le cabinet Specialisterne, une entreprise d’innovation sociale d’origine danoise qui s’appuie sur les caractéristiques des personnes avec un trouble du spectre de l’autisme en vue d’obtenir un avantage concurrentiel, s’occupe du recrutement d’autistes pour le compte de sociétés clientes. De son côté, Asperteam, une entreprise de l’ESS, propose aux entreprises des services de coachs, pour développer et faciliter l’inclusion de talents « extraordinaires ».

Dans cette large palette des diversités cognitives, certaines font même l’objet d’un engouement qui se traduit par de nombreuses publications : c’est le cas de l’hypersensibilité, avec la parution de toujours plus de livres sur le sujet. Parmi ces ouvrages, « Hypersensible : 10 séances d’autocoaching pour bien vivre sa singularité au travail », de Fanny Marais. Coach et formatrice, elle accompagne les entreprises dans le management des personnes à sensibilité élevée ainsi que des surdoués, autrement dit, des hauts potentiels intellectuels (HPI), appelés aussi des « zèbres ». Leurs forces et leurs particularités ? « La définition de la haute sensibilité inclut, d’un côté, la sensorialité élevée – un bruit, par exemple, peut être perçu de façon très forte et empêcher une personne de se concentrer en open space – et de l’autre, l’hyperémotivité », explique cette spécialiste.

Manager les « zèbres » et les hypersensibles

Autre caractéristique, « une personne hautement sensible est par nature très empathique et embaucher un tel collaborateur permet bien souvent de créer du lien au sein des équipes », précise-t-elle. Quant aux hauts potentiels, « ils traitent l’information de manière plus rapide que la moyenne et vont vite au résultat, mais ont parfois du mal à expliquer le cheminement de leur pensée, en raison de leur forte intuition – un point qu’ils partagent d’ailleurs avec les personnes hypersensibles », ajoute Fanny Marais. Avec, parfois, une tendance, de la part des hauts potentiels, au perfectionnisme, mais aussi « un degré de loyauté élevé ». S’ajoute, dans les deux cas, la créativité – « une caractéristique de toute la neuro-diversité », décrypte celle qui codirige aussi l’Observatoire de la sensibilité.

Dès lors, comment les manager ? Pour Fanny Marais, cela passe d’abord par des signes de reconnaissance, puisque parfois, « ces profils ont une faible estime d’eux-mêmes », dit-elle. Leur parler du sens, ensuite, pour montrer comment leur action s’inscrit au sein du collectif. La bienveillance est également cruciale, et va de pair avec la confiance que le manager va leur accorder. « Ils ont la plupart du temps une aversion au conflit et recherchent l’harmonie », précise encore Fanny Marais. Autre point à garder en tête, leur besoin d’autonomie, notamment pour les hauts potentiels, qui ont souvent « une vision d’ensemble et n’aiment ni le micromanagement ni l’incertitude. Ils ont ainsi un besoin de transparence et de directives claires », poursuit la coach. Par ailleurs, pour les hauts potentiels, « il est très important de les stimuler via des projets transverses, par exemple ». Sans oublier de leur laisser, aux sensibles comme aux surdoués, la maîtrise de leur agenda, car « ils ont besoin de réguler leur énergie ». À défaut d’adapter le management, le risque principal, pour ces atypiques, est le décrochage – le bore-out, en quelque sorte… « On voit nombre de hauts potentiels et de personnes hautement sensibles partir vers l’entrepreneuriat quand cela devient trop compliqué pour eux de gérer le quotidien dans le salariat », conclut Fanny Marais.

La prise de conscience progresse en ce qui concerne les avantages, mais aussi les défis que posent ces nouveaux recrutements. Mais si des collectifs de salariés se forment, comme c’est le cas chez Orange, de même que chez Airbus, avec « My Gifted Network », le travail de pédagogie reste à poursuivre auprès des entreprises, encore trop « timides » sur ce sujet, selon Fanny Marais.

Former les futurs managers

Plus généralement, les avancées en matière d’intégration de la diversité cognitive passeront sans doute aussi par la formation des futurs managers. « Elle peut se vivre dans les écoles en l’incluant dans la composition des groupes d’étudiants. C’est en effet aux professeurs de préparer les étudiants à leur futur rôle en entreprise. Il faut que nous les accompagnions dans le cadre de leurs travaux de groupe pour qu’ils puissent apprécier ce que la diversité apporte en matière de créativité et de dynamique qui se dégage lorsque des personnes de pensée différente se penchent sur un même problème pour trouver une solution », estime Krista Finstad-Milion, enseignante-chercheuse à ICN Business School et directrice du département ressources humaines et comportement organisationnel, également référente égalité hommes-femmes pour ICN auprès de la Conférence des grandes écoles. Et de marteler : « Les entreprises ont soif de créativité et besoin d’innover. Si, au quotidien, les équipes qui travaillent sont composées de profils identiques, qui pensent de la même manière, cela ne va faire émerger ni la créativité ni l’innovation. »

Des mots pour le dire

• TSA : trouble du spectre de l’autisme.

• Syndrome d’Asperger : une forme d’autisme qui se caractérise par des difficultés dans les interactions sociales et des comportements répétitifs, mais aussi une mémoire et des capacités supérieures à la moyenne dans leur domaine de compétence.

• DYS : dyslexie, dyspraxie (trouble des apprentissages), dysgraphie (trouble qui affecte l’écriture et son tracé), dysorthographie (trouble spécifique de l’apprentissage de l’orthographe), dyscalculie (altération de la capacité à comprendre et à utiliser les nombres).

• TDA-H : trouble du déficit d’attention, avec ou sans hyperactivité.

• HPI : haut potentiel intellectuel.

Auteur

  • Natasha Laporte