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Le pont sur

« Il y a un triple bénéfice à intégrer les autistes dans les entreprises »

Le pont sur | publié le : 17.01.2022 | Natasha Laporte

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« Il y a un triple bénéfice à intégrer les autistes dans les entreprises »

Crédit photo Natasha Laporte

Ancien dirigeant du groupe Andros au sein duquel il a intégré 11 personnes atteintes d’autisme, Jean-François Dufresne, président de l’association « Vivre et travailler autrement », accompagne désormais les entreprises dans le recrutement, la formation et le management de ces profils atypiques qui présentent de nombreuses qualités au travail.

Vous êtes un pionnier de l’intégration des personnes autistes en entreprise. D’où est née cette démarche ?

Je m’occupe de personnes autistes sévères, c’est-à-dire avec plus ou moins de déficience intellectuelle et peu de capacités de communication verbale. J’ai moi-même un fils autiste. À ses 20 ans, lorsqu’on m’a dit qu’il fallait le mettre dans un foyer d’accueil médicalisé où il resterait toute sa vie, je me suis dit que je n’avais pas envie de cela pour lui et je me suis posé la question : pourquoi excluons-nous ces personnes, alors que tout le monde n’a que le mot « inclusivité » à la bouche ? Les autistes sont d’excellents travailleurs et le travail, pour eux, est une thérapie, qui les fait progresser de façon considérable dans l’apprentissage de l’autonomie. Alors j’ai décidé, en 2014, lorsque j’étais directeur général d’Andros, de démarrer l’expérimentation d’une « école » de l’autonomie, en quelque sorte – au travail et plus largement dans la vie quotidienne. Petit à petit, nous sommes arrivés à intégrer 11 autistes, dans ce que j’appelle le « prototype » que nous avons bâti avec Andros. Ce dispositif s’avère être un succès, puisque leurs progrès sont qualifiés d’incroyables et qu’ils s’épanouissent, tandis que l’entreprise est particulièrement satisfaite de leur travail.

Qu’apportent-ils à l’entreprise ?

Les autistes sont d’excellents ouvriers et ont des performances au moins équivalentes à celles des non-autistes. En outre, ils arrivent le matin en chantant et contribuent à créer une ambiance formidable. Par ailleurs, cela donne également une bonne image de l’entreprise, tant auprès de ses salariés qu’au sein de la ville où est implantée l’usine dans laquelle ils travaillent et des autorités. Autrement dit, auprès de l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise. C’est en même temps un bénéfice pour la société tout entière, puisque l’accompagnement que nous avons imaginé est deux fois moins onéreux que si ces personnes avaient dû être accueillies dans un foyer médicalisé. Et surtout, cela change totalement le regard sur l’autisme de l’ensemble de la population qui les côtoie. Les salariés sont ravis de travailler avec eux et l’autiste ne fait plus peur. Il y a donc un triple bénéfice, c’est gagnant-gagnant-gagnant : pour les pouvoirs publics, pour l’entreprise et pour l’autiste.

Quelles sont leurs principales qualités ?

Les autistes ont des qualités tout à fait adaptées à l’entreprise : ils sont ponctuels, n’aiment pas commettre des erreurs, ne sont pas du tout rebutés par des tâches répétitives, bien au contraire, sont extrêmement précis, minutieux et formidablement concentrés. Quand ils travaillent, ils sont à 100 % dans ce qu’ils font. Bref, ils sont très efficaces. En outre, on s’aperçoit que les adaptations réalisées pour les personnes autistes, telles que les guides de postes par images, sont très efficaces aussi pour les salariés non autistes…

Vous avez intégré des autistes chez Andros, mais vous travaillez aussi avec d’autres entreprises. Sur quels types de postes ?

Il s’agit des postes ouvriers très variés : contrôle de qualité en laboratoire, préparation de recettes, repackaging… Les autistes sont capables de faire quantité de choses. Mais l’idée n’est pas de créer des postes uniquement pour des autistes, puisque ces emplois sont nécessaires au fonctionnement de l’usine et sont occupés par d’autres salariés quand les autistes ne sont pas là. Par ailleurs, les autistes sont capables de travailler dans bien des domaines au-delà de l’usine : dans les activités d’entrepôt ou de tri de tout type, notamment. J’ai même un projet dans un hôpital. À ce jour, en tout cas, nous avons accompagné l’intégration de personnes autistes sur une dizaine de sites, notamment dans l’agroalimentaire de même que la beauté.

Comment recruter des personnes autistes ?

Sur les 700 000 autistes diagnostiqués, il y a environ 450 000 adultes en âge de travailler. Nous nous intéressons essentiellement aux jeunes adultes de 20 à 35 ans qui ne sont ni des autistes de haut niveau de fonctionnement (capables d’exprimer leur intelligence, d’avoir des interactions sociales et de vivre de façon relativement indépendante), ni des autistes profonds, ce qui fait un vivier potentiel de 150 000 personnes. Dans le cadre de l’accompagnement par notre association, nous avons une commission d’admission ainsi qu’une procédure pour les identifier et les sélectionner. Après une période de formation de six mois à un an au sein de l’entreprise, l’employeur décide s’il les engage en CDI à mi-temps, puisque ces personnes doivent aussi apprendre la vie quotidienne le reste du temps.

Dans ce processus, l’encadrement est clé. Comment accompagnez-vous les managers ?

L’encadrement est en effet essentiel pour apprendre l’autonomie aux autistes sévères. C’est comme dans une école, c’est interdit de faire à leur place. Bien entendu, nous formons l’entreprise et nous l’assistons complètement dans le management de ces personnes, car un manager qui n’a pas de connaissances de l’autisme ne peut pas les diriger s’il n’est pas formé. Les intervenants de notre association sont également présents sur place, au sein même de l’entreprise, pour aider les collaborateurs au quotidien à réagir de façon pertinente.

Y a-t-il néanmoins des défis ?

Le principal défi reste de vaincre la réticence des opérationnels et des managers. Il y a souvent une crainte que cela va être compliqué, que cela va pénaliser la performance et que cela nécessitera beaucoup d’énergie. Sur le terrain, cependant, cela ne se vérifie pas.

Constatez-vous un intérêt croissant de la part des entreprises ?

Cela progresse, mais nous sommes encore loin d’une prise de conscience massive. Nous nous sommes aperçus que les entreprises étaient tout à fait ouvertes à l’intégration des personnes autistes, mais nous disaient qu’elles ne savaient pas comment faire pour aller les chercher, trouver des financements pour les accompagner, leur trouver un lieu de vie… C’est pourquoi nous accompagnons les entreprises dans ces démarches. La marge de manœuvre reste considérable quand on sait que le taux de chômage des personnes autistes est de 95 %, selon les estimations. Dans le sillage de notre « prototype », nous travaillons actuellement sur une « présérie » qui devrait s’arrêter en 2022 avec une vingtaine de sites d’entreprises. Commencera ensuite la « grande série »… Sur ce chemin, je suis confiant que les entreprises feront bouger les lignes et feront ainsi avancer la société pour parvenir à une vraie inclusivité.

Auteur

  • Natasha Laporte