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Le grand entretien

« Créer un cadre juridique pour protéger l’individu »

Le grand entretien | publié le : 10.01.2022 | Pascale Braun

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« Créer un cadre juridique pour protéger l’individu »

Crédit photo Pascale Braun

« Philosophe des libertés » et fondateur du think tank GénérationLibre, Gaspard Koenig prône un libéralisme guidé par la liberté individuelle. Partisan d’une simplification administrative radicale, il milite pour l’autonomie dès le plus petit échelon et la protection, du fait que les frontières entre salariat et travail indépendant vont s’estomper.

Philosophe et écrivain, vous avez fondé le parti politique Simple en mai 2021. Que comptez-vous apporter aux débats de la campagne présidentielle ?

J’ai choisi de ne plus me contenter de critiquer et d’entrer dans l’arène politique pour formuler des propositions. Je défends un corpus doctrinal peu représenté dans la vie politique, qui milite pour les libertés individuelles, une conception du rôle de l’État qui vise à développer l’autonomie des citoyens, la propriété personnelle des données, la libéralisation du cannabis, le droit des animaux… Je suis fatigué de voir qu’en dépit de sondages généralement très favorables à ces causes, tous les partis maintiennent une vision très verticale et très utilitaire. J’entre en politique pour affirmer que les décisions doivent se prendre au plus petit échelon, à rebours d’un jacobinisme qui n’a jamais vraiment pris en France.

Retrouvez-vous ce jacobinisme dans l’entreprise ?

La bureaucratie a envahi l’espace privé, public et sociétal. L’entreprise subit et produit la folie normative. Il existe aujourd’hui plus de 200 impôts, ce qui donne à l’État des moyens de contrôle, puisque chaque entreprise est obligée de chercher la bonne case, le bon crédit d’impôt… Je défends une simplification normative qui consisterait à effacer à la fois les taxes et les aides, représentant 50 milliards d’euros. Cela ouvrirait des espaces de décision et de nouvelles marges de manœuvre. Le capitalisme français est très administré. Je suis toujours étonné de voir que Bercy « convoque » les patrons, dans une position très hiérarchique, alors que rien n’oblige ces derniers à se rendre à cette invitation. Ils pourraient agir de manière plus autonome et réintroduire du bon sens là où la bureaucratie crée une perte de sens. Ce serait aussi un gage de créativité. Les innovateurs sont toujours un peu contre la loi, ou du moins, à contre-courant.

Comment décliner la notion de liberté dans l’entreprise ?

D’abord, en réaffirmant que la décision doit pouvoir se prendre au plus petit échelon. Sinon, le travail devient déresponsabilisant, comme à la SNCF, où les contrôleurs n’ont plus aucune marge de manœuvre dans l’application du règlement. Il faut distendre le lien de subordination, car à l’avenir, les frontières entre le salariat et le travail indépendant vont s’estomper, d’où la nécessité de créer d’ores et déjà un cadre juridique pour protéger l’individu. Le salarié sera plus libre de son travail, mais il ne faut pas le laisser seul confronté à la loi de la jungle. Le statut de l’actif serait un progrès. Il mettrait en place le revenu universel, créerait un compte temps donnant accès au temps libre en fonction des points acquis et estomperait les notions de licenciement et de démission pour inscrire le travail dans un continuum. Je suis assez d’accord avec Marx quand il définit le salariat comme une aliénation. Une relation où l’on continue un travail vide de sens par besoin de sécurité n’est enrichissante pour personne.

Quel regard portez-vous sur les politiques de responsabilité sociétale que mettent en place certaines entreprises ?

Je vois dans cette moralisation une infantilisation qui inhibe le sens critique. Plus on parle de RSE, plus on est frileux. La moralisation s’étend désormais à la vie privée. On voit des salariés sanctionnés pour des tweets privés. La chape de plomb est telle que l’on n’ose plus rien dire. La pandémie de Covid renforce cette infantilisation. Alors que la cinquième vague distille la peur et les contraintes abusives, les entreprises en rajoutent dans le principe de précaution. Elles ne profitent même plus des libertés qui leur restent. On ne peut pas faire confiance à l’entreprise pour s’autoréguler. Elle ne le fera pas ou ne le fera pas bien. Facebook s’est mis à réinventer des lois, avec un résultat encore plus restrictif pour des raisons commerciales. Il est très compliqué de savoir ce qui est socialement responsable et comment taxer ce qui ne le serait pas. On ne réinvente pas en deux ans deux siècles de jurisprudence et de délibérations collectives. L’État de droit est là pour faire appliquer la loi. Tant que l’on n’y contrevient pas, chacun est libre de faire ce qu’il veut dans toutes sortes d’activités.

Ce principe s’applique-t-il au fait religieux dans l’entreprise ?

Oui. Ce n’est pas à l’entreprise de réinventer la laïcité. Il faut rester légaliste, défendre une conception ouverte de la laïcité, où chacun a le droit d’exprimer ses convictions religieuses dans l’espace public. Il n’y a pas lieu de créer de procédure particulière, ni d’accorder de pauses spéciales, car l’entreprise n’est pas un lieu de culte. Le cadre le plus simple est de respecter toutes les croyances et d’accepter tout ce qui ne nuit pas.

Voyez-vous progresser le débat sur le revenu universel ?

La question fait l’objet de débats, y compris chez les patrons. Des dirigeants comme Bernard Bourigeaud, fondateur d’Atos, ou Henri de Castries, ancien patron d’Axa, y sont favorables. Le revenu universel élimine les effets de seuil et permet de prouver que le travail paye toujours. Il supprime le dilemme entre embaucher et augmenter. Il donne au salarié un pouvoir de négociation qui permet la revalorisation des métiers les plus ingrats sans avoir forcément de grandes répercussions sur les métiers les plus intellectuels et les plus créatifs. Il s’agit plus d’une redistribution des cartes que d’un changement radical.

Que pensez-vous du recours à l’intelligence artificielle pour aider les ressources humaines ?

Je ne suis pas hostile à l’IA, mais sans interaction humaine ou commerciale, elle risque de normer toute l’activité, d’éliminer la divergence et le risque d’erreur qui font le sel de la vie humaine. L’IA doit permettre de libérer des tâches répétitives et ingrates, mais pas au détriment de la spontanéité et de la singularité. Il ne faut pas la laisser décider à la place de l’humain, car ce qui lui manquera toujours, c’est le bon sens.

Parcours

Âgé de 40 ans, Gaspard Koenig a publié une quinzaine d’essais et de romans. Le dernier en date, Notre Vagabonde Liberté, retrace son parcours de 2 500 kilomètres à cheval sur les traces de Montaigne. Ancienne « plume » de Christine Lagarde au ministère de l’Économie, il avait rejoint, en 2009, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) à Londres, où il s’occupait d’affaires institutionnelles. Il donne des cours de philosophie libérale à Sciences Po et, depuis 2018, il enseigne la philosophie et la culture générale à Skema Business School. Fondateur, en 2013, du cercle de réflexion GénérationLibre, think tank défendant le libéralisme économique, politique et sociétal, il a également créé, au printemps 2021, le parti Simple, qui vise à diviser par 100 le nombre de normes.

Auteur

  • Pascale Braun