logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le pont sur

« C’est un signe de santé sociale que de pouvoir inclure »

Le pont sur | publié le : 27.12.2021 | Nathalie Tissot

Sociologue au Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (Lise), Léa Lima estime qu’il faut questionner l’organisation et les conditions du travail proposées par les entreprises.

Combien de personnes sont considérées comme éloignées de l’emploi aujourd’hui ?

La notion est floue. Ce n’est pas une catégorie statistique et il n’y a même pas de définition administrative très claire. Difficile, donc, de donner un chiffre. Toujours est-il que cette notion est apparue comme la critique d’une catégorie utilisée en matière de politiques de l’emploi, les inemployables… Parler de personnes « éloignées de l’emploi », c’est estimer qu’elles ne sont pas inemployables et qu’il y a toujours un accompagnement à mettre en place pour les raccrocher à la sphère de l’emploi. Reste qu’elles cumulent souvent des éléments qui les rendent relativement inaptes au travail dans les conditions qui sont offertes par le marché aujourd’hui. Mais l’éloignement dépend aussi de l’offre et des ressources sur un territoire. Par exemple, l’offre de garde d’enfants peut être insuffisante pour permettre le maintien ou la reprise d’un emploi pour des femmes. Des employeurs peuvent également avoir des normes de recrutement plus ou moins inclusives. L’éloignement de l’emploi se mesure donc au rapport des individus à un environnement économique et social. D’où un nombre de personnes concernées qui fluctue dans le temps et l’espace.

Pourquoi est-il essentiel de les intégrer sur le marché du travail ?

D’un point de vue individuel, c’est important, car l’emploi est considéré comme un pilier de l’appartenance à une société. Travailler est un vecteur de lien social. Le travail est une valeur essentielle pour beaucoup, notamment pour ceux qui en sont exclus. Par ailleurs, il est nécessaire pour maintenir la majorité de nos droits sociaux, qui sont des éléments constitutifs de la citoyenneté sociale et individuelle. Par ailleurs, d’un point de vue collectif, c’est un signe de santé sociale d’une société que de pouvoir inclure le plus de personnes possible dans ce qui fait le « commun ». Selon moi, c’est un projet politique – quelle société voulons-nous ? – avant d’être un projet économique.

Malheureusement, le nombre de personnes concernées ne diminue pas…

En effet, et cela implique la nécessité d’une réflexion sur le travail lui-même, pas uniquement sur l’accès à l’emploi et le chômage. Parmi les chômeurs longue durée, certains ont été cassés par le travail. Les politiques de l’emploi auraient peut-être intérêt à se saisir de la question du travail dans les entreprises dans une perspective de parcours de vie et de carrière, en notant que, parmi les personnes qu’on dit aujourd’hui éloignées de l’emploi, beaucoup ont eu une vie de travail et c’est peut-être cette vie-là qui est à l’origine de leur chômage… Il faut reconnecter tous ces éléments. Par exemple, on peut penser que les politiques de santé au travail dans l’entreprise participent des politiques de prévention du chômage de longue durée. Quant aux politiques de l’emploi, elles sont très centrées sur les individus qu’on essaie de rapprocher d’une norme d’employabilité, sans forcément interroger les normes de recrutement des employeurs et les conditions de travail qu’ils offrent.

Quels défis le monde de l’insertion professionnelle doit lui aussi relever ?

Il peut y avoir des soucis liés à l’empilement de dispositifs et à la multiplication des structures, des champs et des sous-champs qui composent le monde de l’insertion. L’individu est orienté de structure en structure, de séquences de parcours en séquences de parcours avec, à chaque fois, des intervalles de temps pendant lesquels il peut, en théorie, passer à côté d’opportunités d’emploi. Plus les parcours sont complexes et mal coordonnés, plus cette période est longue. Il y a aussi l’enjeu de la taille des portefeuilles de suivis individuels attribués aux professionnels de l’accompagnement et par conséquent du temps consacré à chaque personne. Des études montrent que, plus on lui en accorde, plus ses chances d’accès à l’emploi augmentent. On remarque des dérives lorsque des dispositifs se généralisent et que les professionnels ont de plus en plus de chômeurs à accompagner.

Auteur

  • Nathalie Tissot