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Louis Gallois: «nous sommes complémentaires à l’insertion »

Le pont sur | publié le : 13.12.2021 | Lucie Tanneau

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« Nous sommes complémentaires à l’insertion »

Crédit photo Lucie Tanneau

 

Ancien dirigeant d’Airbus et de la SNCF et président du conseil de surveillance de PSA, Louis Gallois est aussi le président du fonds d’expérimentation de Territoire zéro chômeur longue durée. Il fait le bilan des cinq ans de la première expérimentation.
 
Quel bilan tirez-vous de cette première expérimentation ?

Cela a été quatre années pendant lesquelles nous avons aidé plus de 1 000 personnes à sortir du chômage de longue durée, voire de très longue durée. C’est un élément encourageant. Nous avions trois convictions : nul n’est inemployable, on ne manque pas d’activité et le financement existe. Nous avons conforté ces convictions. Lorsqu’on s’attache aux compétences des personnes et autant que possible à leurs souhaits, on trouve du travail utile. Sur la question du financement, nous continuons de considérer qu’il existe : si l’on additionne les dépenses occasionnées par le chômage d’un côté, et que, de l’autre, on prend en compte le fait que les gens consomment davantage et que leur emploi permet des bénéfices sur le plan de la santé, de la vie familiale ou de la réduction des récidives en sortie de prison, tout cela compense le coût pour les collectivités publiques. Nous partions de zéro. Certaines EBE ont démarré sans locaux ou avec 25 salariés dans 14 m2. Les conditions n’ont pas facilité le démarrage et les comités locaux pour l’emploi (CLE) tâtonnaient. L’accent sur la formation a manqué au début… Les premières EBE ont essuyé les plâtres, mais cette première étape me rend optimiste. Les chiffres d’affaires par salarié ont toujours augmenté, malgré un ralentissement en 2020, et les entreprises ont su s’adapter à la crise pour proposer des services. Le bilan est extrêmement encourageant.

Combien d’entreprises à but d’emploi existent aujourd’hui, avec combien d’emplois créés ?

Quatorze EBE existent dans dix territoires, et une nouvelle est à l’étude. Plus de 1 000 salariés sont passés par ces EBE. Certains les ont quittées pour partir à la retraite, en raison d’un déménagement ou pour rejoindre une entreprise avec un contrat de droit commun. Il y a aujourd’hui 80 à 100 personnes avec un CDI dans chaque EBE.

Quelle est leur place dans le paysage de l’insertion ?

Elles se distinguent par le fait qu’elles embauchent les personnes en CDI, alors que l’insertion ne fait que du CDD, avec le but d’accéder ensuite à des emplois de droit commun. L’ambition des EBE est différente. Les personnes embauchées peuvent trouver un emploi ailleurs et elles sont incitées à le faire si elles ont les compétences, mais certaines ne sortiront jamais – et nous le savons. La dynamique et la justification sont vraiment autres. L’insertion par l’activité économique (IAE) joue un rôle essentiel et nous sommes complémentaires. Dans les territoires où il y a peu d’emplois, les salariés des ateliers et des chantiers d’insertion peuvent rejoindre des EBE. À Thiers, l’une de nos EBE est aussi adossée à un chantier, avec des services supports en commun, ce qui permet des économies, avec une expérience du management de ce public précieuse.

Vous dites d’ailleurs qu’il a fallu inventer un management participatif dans les EBE…

C’est un management très spécial, dans la bienveillance, mais avec une capacité d’autorité car il faut être capable de développer du chiffre d’affaires et des compétences. Les contraintes sont multiples quand vous ne choisissez pas vos salariés et qu’il y a une exigence sur la supplémentarité et la non-concurrence des activités développées. Il faut être capable de créer un collectif de travail, ce qui n’est pas simple, car ce sont des personnes qui ont souvent été cassées par la vie et qu’il faut remettre dans un nouveau parcours, avec des perspectives.

Aujourd’hui, les EBE sont-elles rentables, ou coûtent-elles moins cher que le financement du chômage ?

Dégager un chiffre d’affaires ne couvrira jamais tous les coûts, car on ne peut pas faire concurrence aux entreprises du territoire. On a donc des marges très faibles et peu de rentabilité. Aujourd’hui, chaque emploi est subventionné à 19 000 euros, ce qui coûte un Smic assorti des charges. Donc, le salaire est assuré par les services publics, mais le reste des dépenses des EBE, soit un tiers des coûts, doit être couvert par le chiffre d’affaires. Certaines EBE y arrivent, d’autres sont en cours. Notre objectif est de créer des emplois.

La deuxième expérimentation va commencer. Avec quelles EBE ?

Il va y avoir jusqu’à 60 territoires et peut-être davantage. Nous avons mis en place un processus d’habilitation avec un cahier des charges comprenant des conditions à remplir pour présenter son dossier. Une commission examine ces candidatures et tout dossier qui répond aux critères est proposé au conseil d’administration du fonds d’expérimentation pour être ensuite validé par le ministère du Travail. Nous avons vu les premiers dossiers et espérons les premières habilitations avant la fin de l’année. Certaines EBE ouvriront donc dès janvier.

L’objectif est-il d’en faire un modèle duplicable ?

Les EBE ont un tronc commun, avec des principes liés à la nature même de l’expérimentation, mais les EBE vivent leur vie et la vie est différente si vous êtes dans le 13e arrondissement de Paris ou à Pipriac et Saint-Ganton. Notre métier est de favoriser les échanges d’expérience et nous allons rédiger un guide de bonnes pratiques. Nous réunissons les dix territoires régulièrement. Notre défi est de maintenir ces échanges quand nous serons 30, 40, 50… Nous sommes en passe de choisir trois référents territoriaux afin d’organiser des regroupements et des contacts par zone, mais je crois qu’il faut maintenir une cohésion nationale. Cette expérimentation commence en tout cas à intéresser beaucoup de monde : il y a cinq ans, il y avait beaucoup de questions, mais dernièrement, nous avons réuni Philippe Martinez (CGT) et Laurent Berger (CFDT), ce qui n’est pas si courant. Il y a 2 à 3 millions de chômeurs longue durée en France, et chez nous, l’emploi est un droit inclus dans la Constitution – qui n’est pas rempli…

Auteur

  • Lucie Tanneau