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Insertion : À Pipriac, l’EBE Tézéa a trouvé sa place petit à petit

Le pont sur | publié le : 13.12.2021 | Lucie Tanneau

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Insertion : À Pipriac, l’EBE Tézéa a trouvé sa place petit à petit

Crédit photo Lucie Tanneau

 

L’entreprise à but d’emploi Tézéa, à Pipriac (Ille-et-Vilaine), est l’une des premières créées dans le sillage de la première loi d’expérimentation. Quatre ans après, elle emploie 84 salariés et n’a plus de liste d’attente : tous les chômeurs longue durée volontaires du territoire ont été embauchés. Une victoire qui ne cache pas les nombreuses difficultés du début, lesquelles demeurent dans la gestion de cet ovni économique.

En ce vendredi d’automne, à la recyclerie de Pipriac, plusieurs habitants parcourent les rayons. À la caisse, Nathalie Morel les accueille avec le sourire, malgré le froid qui s’engouffre dans le magasin. À 54 ans, elle parle de cet emploi de responsable de la recyclerie comme d’un cadeau tombé du ciel. Arrivée dans la commune il y a sept ans, elle était auparavant au chômage, à la suite d’un accident du travail dans la restauration. « Je ne peux plus bouger mon bras droit », dit-elle, alors qu’elle « adorait » son ancien métier. Avec sa reconnaissance de travailleur handicapé (RQTH) et sans permis de conduire, elle a cherché un travail, mais aucune entreprise ne voulait d’elle. Quand la mairie lui envoie un courrier sur le projet TZCLD, mené en partenariat avec la commune voisine de Saint-Ganton, elle assiste à toutes les réunions. Et est l’une des premières à signer un CDI au sein de cette EBE créée le 1er janvier 2017, après deux ans de réflexion et de construction du projet. Elle espère y rester « jusqu’à la retraite », dit-elle.

C’est aussi grâce à elle que Patrice Truchet, 55 ans, a signé son CDI. Elle lui a parlé de l’EBE alors qu’il promenait son chien. Ils sont voisins. Il est arrivé un an après Nathalie et gère désormais la réception des objets donnés. Lui aussi a un parcours de vie marqué par les accidents. Reconnu invalide à plus de 78 %, il ne « doit pas rester debout, ni assis, ni porter, ni rien ! », énumère-t-il. Mais Patrice ne supporte pas d’être chez lui à ne rien faire… « J’ai toujours travaillé, depuis mes 13 ans comme peintre, et le week-end avec mon père dans son entreprise de jardinerie et espaces verts. Il faut arrêter de dire que les chômeurs ne veulent pas bosser », dit-il, bougon. « C’est tellement compliqué de trouver du travail quand on a une RQTH, surtout quand ça ne se voit pas. Ici, on est beaucoup dans ce cas », ajoute-t-il. Ici, c’est Tézéa, « l’entreprise des chômeurs », comme on la surnommait dans les environs.

« Aujourd’hui, c’est seulement Tézéa », se félicite Gwénola Prévert, la coordinatrice de l’EBE qui a fait signer 125 CDI depuis 2017 et emploie aujourd’hui 84 salariés « volontaires et à temps choisi » (certains ont des contrats de 14 heures). Un casse-tête pour l’organisation et le management des équipes dont ne parlaient ni Gwénola Prévert ni le directeur de l’EBE Serge Marhic les premières années. Certainement pour ne pas tuer dans l’œuf le projet, qu’ils défendent. Aujourd’hui, ils ne cachent plus les difficultés des débuts : il a fallu trouver des locaux, des activités non concurrentes et se faire accepter sur le territoire, alors que certains des entrepreneurs locaux « auraient bien récupéré, à l’époque, les 18 000 euros de transfert des droits de chômage pour mettre au boulot » les chômeurs de ce village rural où les gens se connaissent et les rumeurs se propagent vite. Quatre ans après, Tézéa a trouvé des niches qui sont devenues des activités, transformées en heures de travail, réparties entre des équipes de salariés qui ont investi les bâtiments. Au total, 33 activités, dans six domaines, sur six sites.

« Demande à Tézéa »

« Au début, on s’est un peu éparpillé et ça a été compliqué de gérer, mais on était obligé puisqu’on ne récupérait que ce que les entreprises du territoire ne font pas, que les chantiers d’insertion ne font pas non plus ou que les collectivités voulaient bien nous confier », raconte Serge Marhic. Depuis, quand un besoin se fait sentir sur le territoire, les habitants pensent à l’EBE. « Demande à Tézéa, ils le font peut-être ? », entend-on désormais. Car en plus de la recyclerie, Tézéa gère une épicerie de village, répare et construit des meubles en palettes, trie des métaux, démonte des pneus, entretient des espaces verts, collecte des cartons, s’occupe de la blanchisserie de chambres d’hôtes ou d’entreprise, du lavage de véhicules… À leur embauche, les salariés font le tour des équipes et des activités pendant une semaine pour tenter de trouver leur domaine. « Après, nous les intégrons à une équipe, en espérant que ce soit celle où il y ait des besoins », poursuit Serge Marhic. Les artisans voisins, dont deux sont devenus clients et présidents de Tézéa, comprennent le but de la démarche et notent que les difficultés sont les mêmes dans toute entreprise avec, à Tézéa, un peu plus de problématiques de santé, de mobilité, d’addiction, de logement… Il n’empêche, l’EBE a réussi le pari lancé par l’expérimentation TZCLD et un panneau « Vous entrez dans une zone zéro chômage » trône à l’entrée. « L’entreprise est à l’équilibre. Un salarié coûte 28 000 euros, indique Serge Marhic. L’État nous verse 18 000 euros, le département 2 000 au titre du RSA, et la différence, c’est notre reste à charge, que l’on couvre avec la production, depuis 2020. » Tézéa est l’une des seules EBE à avoir réussi le pari en France.

L’objectif des cinq ans à venir, pendant la durée de la deuxième expérimentation, est de « pérenniser l’entreprise, de structurer davantage les projets professionnels et la formation, de travailler à la gouvernance… bref, tout ce que ces premières années ne nous ont pas permis de faire et qui est nécessaire dans toute entreprise », précise le directeur. De nouveaux bâtiments doivent être construits – de quoi donner du travail aux entreprises locales et prouver, une fois encore, que l’EBE n’est pas une entreprise de chômeurs, mais une entreprise qui redonne un emploi et donc une vie plus digne à ceux qui y sont embauchés. « Nous avons vu la vie réapparaître », confirme Serge Marhic à la question de ce qu’apporte l’entreprise à la commune. On peut en effet la voir dans les yeux de Nathalie et Patrice, mais aussi au nombre de naissances (8 !), mariages, voitures ou maisons achetées, de séparations aussi (notamment du fait de femmes qui, sans travail, ne pouvaient pas quitter leur conjoint auparavant). Le vendredi soir, il n’est pas rare de voir une équipe entière de Tézéa à la terrasse du café. Une fin de semaine bien méritée, comme à la sortie de n’importe quelle entreprise.

Auteur

  • Lucie Tanneau