Le bilan dressé à l’occasion de la semaine de l’emploi des personnes en situation de handicap, qui s’est tenue du 15 au 21 novembre, est certes mitigé. Mais si la crise sanitaire a pu fragiliser encore plus ces salariés, les employeurs ont fait des efforts. D’autant qu’ils se sont rendu compte que chacun peut être fragile…
En 2020, 22 % seulement des établissements de services d’aide par le travail (Esat) et des entreprises adaptées (EA), qui emploient 150 000 personnes en situation de handicap, ont eu un chiffre d’affaires stable ou en augmentation. « L’explosion du télétravail et du commerce en ligne, la digitalisation programmée dans tous les domaines nous imposent de repenser pratiquement tous nos métiers. Celui de l’accueil et de la conciergerie, à titre d’exemple, va devoir se réinventer – avec des sièges sociaux de moins en moins fréquentés par des collaborateurs qui auront par ailleurs probablement de nouveaux besoins à satisfaire », relève David Bourganel, le directeur général de l’Association pour l’insertion et la réinsertion professionnelle et humaine des handicapés (ANRH) dans le rapport de l’Observatoire économique national des achats responsables auprès des prestataires Esat-EA. Une nécessité de se réinventer que partagent aussi nombre d’entreprises classiques. À condition de dépasser certains préjugés.
Marlène Cappelle, la déléguée générale de Cheops-Cap emploi, rappelle qu’il était, en pleine période de crise sanitaire, nécessaire de rassurer et de sensibiliser, entre autres, sur « ce qu’était une personne en situation de handicap pour éviter les amalgames sur la question du public fragile. On se dit à tort : “Elle est en situation de handicap, donc elle doit forcément être en télétravail ou en arrêt” ».
« On considère que c’est une population homogène là où il faudrait aller davantage sur des logiques plus spécifiques, des organisations du travail repensées en prenant en compte les capacités des personnes mais aussi leur vulnérabilité », estime de son côté Carole Salères, la conseillère nationale emploi, ressources et formation d’APF France handicap, qui rappelle que « le fait d’être en situation de handicap multiplie par trois le risque de discrimination dans l’emploi ». Elle invite ainsi à reconsidérer la portée de ce qui est mis en place pour l’ensemble des salariés. Une démarche qui a commencé par la généralisation du télétravail.
Ainsi, chez ADP, fournisseur américain de solutions RH, sur 2 100 collaborateurs en France, 5,5 % sont en situation de handicap. Certains travaillaient déjà à distance avant la pandémie, d’autres non. « Nous avons aidé les salariés à s’équiper en écrans de grande taille, logiciels spécifiques, sièges avec des repose-pieds ou poignets, bureaux permettant d’alterner la station debout et assise », indique Nolwenn Gourven, responsable RSE et relations sociales de l’entreprise. Au total, 25 aménagements de postes ont été réalisés pour les salariés en situation de handicap. « Lorsqu’ils étaient d’accord, un ergonome venait à leur domicile pour être sûr d’effectuer l’adaptation adéquate », précise-t-elle.
Quant au secteur public, qui compte 260 000 agents handicapés, il a dû également s’adapter. Marc Desjardins, directeur du FIPHFP, le fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, décrit une « mise en place progressive, un peu chaotique mais finalement bénéfique, du télétravail ». Comme l’Agefiph pour le secteur privé, le FIPHFP a mis à disposition des aides exceptionnelles, complétées par l’État, pour financer, entre autres, du matériel spécifique et encourager l’embauche durant la pandémie. Certaines ont été prolongées jusqu’en décembre 2021. À l’heure du retour en présentiel – au moins pour le moment –, Marc Desjardins s’interroge sur l’intérêt de pérenniser le télétravail. « Les avis sont assez partagés, constate-t-il. Il limite la fatigue, notamment dans les transports, mais il y a aussi un risque de désocialisation qui est encore plus grand pour les personnes en situation de handicap. » D’autant que les confinements ont entraîné l’interruption des suivis médicaux ou des soins pour certaines d’entre elles. Une enquête Ipsos-Agefiph, menée en juin 2020 et avril 2021, révèle qu’en un an, le sentiment d’isolement a augmenté de 11 points chez ces actifs.
Cette fragilité psychologique menace aussi les demandeurs d’emploi. L’ancienneté moyenne d’inscription pour les personnes handicapées est passée de 883 jours en 2020 à 919 jours cette année. Et les structures d’accompagnement ont vu certaines de leurs missions chamboulées par le télétravail. « Nous ne pouvons pas étudier les situations de maintien dans l’emploi au téléphone ou en visio, relève Marlène Cappelle, de Cheops-Cap emploi. Il faut aller voir le poste de travail, échanger avec l’employeur, la personne. » Après une baisse de 9 % du nombre de contrats signés en 2020, une amélioration tend néanmoins à se confirmer sur le premier semestre 2021.
L’un des leviers pour améliorer l’intégration des travailleurs handicapés repose aussi sur l’apprentissage, dont le nombre de contrats a augmenté de 34 % entre 2019 et 20201, en dépit de la crise sanitaire. Dans le secteur public, 1 200 apprentis sont ainsi aidés chaque année. « Les plus volontaires sont les collectivités locales, plus souples », précise le directeur du FIPHFP. Le taux d’emploi des travailleurs handicapés y atteint 6,7 %, contre 4,67 % dans la fonction publique d’État. Le secteur privé mise lui aussi sur l’alternance pour améliorer ses efforts d’inclusion. Le groupe Apicil accueille ainsi chaque année sept apprentis en situation de handicap, majoritairement en reconversion professionnelle. Aucune limite d’âge n’est requise pour les bénéficiaires de l’obligation d’emploi (OETH). « Il y a deux ans, nous avons, grâce à cela, embauché deux CDI et deux CDD », se félicite Christine Dollé Delmotte, la responsable mission handicap. L’enjeu est de taille pour le groupe de 2 000 collaborateurs qui a vu son taux d’emploi légal de salariés handicapés chuter de 7,4 % en 2019 à 5,1 % en 2021 après le rachat d’entités et l’entrée en vigueur de la réforme de l’OETH. Désormais, les achats responsables auprès des Esat et EA ne sont plus comptabilisés dans le taux d’emploi légal de 6 % de l’effectif global pour les entreprises de plus de 20 salariés. Ils sont soustraits de la contribution à l’Agefiph que l’entreprise doit verser si elle ne remplit pas ses obligations.
(1) Selon les chiffres du réseau Cheops-Cap emploi.