Par Martin Richer dirigeant de Management & RSE
Pourquoi devez-vous être particulièrement attentif à la survenue de cas de discrimination dans votre entreprise ?
L’observatoire Meteojob et Ifop des discriminations à l’embauche montre que la proportion de salariés ayant déjà été victimes d’une discrimination lors de la recherche d’un emploi a presque doublé en vingt ans, passant de 12 % en 2001 à 21 % en 2021. Le sociologue américain Lincoln Quillian a comparé les résultats de campagnes de testing sur l’origine raciale menées dans plusieurs pays. La surprobabilité d’être convoqué à un entretien d’embauche pour un candidat jugé blanc par rapport à un candidat équivalent supposé issu de minorités non blanches est de 50 % à 100 % en France, contre un écart de 20 % à 40 % en Allemagne, aux États-Unis ou en Norvège.
Au cours des cinq dernières années, un quart des actifs français déclarent avoir été confrontés à des comportements discriminatoires, d’après l’enquête « Accès aux droits » du Défenseur des droits. Selon une autre étude du Défenseur des droits (mars 2017), le monde professionnel est le milieu où les discriminations seraient les plus prégnantes, devant la scolarité (8 %) et l’accès au logement (5 %). La constatation d’un cas de discrimination qui s’exerce sur soi-même ou sur un proche provoque un violent déni de la promesse républicaine d’émancipation et du discours d’égalité des chances et de valorisation des talents que tiennent les entreprises. C’est le plus sûr moyen de fabriquer du désengagement.
Ni la mise à l’écart de la contrainte concurrentielle ni la mise en avant de l’éthique et de l’intérêt général ne protègent des discriminations : l’exposition ressentie par les actifs n’est pas inférieure dans le secteur public (27 %) à ce qu’elle est dans le privé (25 %). Pour les plus jeunes, les discriminations sont identifiées comme le deuxième obstacle pour l’accès à l’emploi, derrière le manque d’expérience (étude YouGov, septembre 2021). Les personnes à l’intersection de plusieurs catégories « minoritaires » sont les plus touchées.
Les droits réels sont très loin des droits formels. En 2020, le Défenseur des droits a recueilli 5 200 saisines pour discrimination (Rapport annuel, mai 2021), mais les chiffres d’infraction rapportés par l’organisme statistique du ministère de l’Intérieur sont très faibles (de l’ordre de 260 pour la même année). De fait, selon le Défenseur des droits, 80 % des personnes faisant face à une situation de discrimination n’ont entrepris aucune démarche pour essayer de faire valoir leurs droits. C’est particulièrement le cas lorsqu’il s’agit de discrimination dans l’accès à l’emploi (93 % de non-recours) ou lorsque cette discrimination est vécue comme étant fondée sur l’origine (88 % de non-recours). À la violence de la discrimination s’ajoute l’absence de crédibilité du soutien de la justice et de la société.
L’impact des discriminations sur la performance est difficile à cerner, comme le rappelle une récente note de la Direction du Trésor intitulée « Discriminations : comment les mesurer, quel coût économique ? ». On sait que les discriminations réduisent les performances en limitant la diversité des groupes humains. Cette dernière tend à favoriser la créativité, la prise de décision et la résolution des problèmes, comme l’ont montré Alison Reynold et David Lewis. Sur le plan macro-économique, France Stratégie (« Le coût économique des discriminations », 2016) a étudié les effets de la réduction des discriminations selon plusieurs scénarios produisant un effet sur le PIB à long terme compris entre + 3,6 % et + 14,1 %.
Pour aller plus loin : « Extirper la discrimination liée aux origines hors de l’entreprise » https://management-rse.com/extirper-la-discrimination-liee-aux-origines-hors-de-lentreprise/