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Le fait de la semaine

Des lanceurs d’alerte mieux protégés mais encore exposés

Le fait de la semaine | publié le : 22.11.2021 | Gilmar Sequeira Martins

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Intérêt général : Des lanceurs d’alerte mieux protégés mais encore exposés

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

 

Adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 17 novembre afin d’être transposée en droit français, la directive européenne améliorant la protection des lanceurs d’alerte compte aussi faire évoluer l’attitude des entreprises, pour la plupart encore réticentes ou hostiles à l’égard de ces démarches.

Approuvée le 23 octobre 2019 par le Conseil et le Parlement européen, la directive 2019/1937 sur les lanceurs d’alerte est examinée au Parlement depuis le 17 novembre afin d’être transposée en droit français. Elle apporte une protection améliorée par rapport à la loi Sapin II de 2016 et met fin à l’obligation de lancer d’abord le signalement dans l’entreprise, crée un statut de « facilitateur », sur lequel pourra s’appuyer le lanceur d’alerte, statut étendu à ses proches ainsi que, après la transposition en droit français, aux ONG et aux syndicats, et enfin, prévoit la sanction pénale de diverses mesures de représailles, qui permettra au lanceur d’alerte d’obtenir des dommages et intérêts.

Pour autant, les difficultés demeurent. Selon Laurence Fabre, responsable du secteur privé de Transparency International (TI) France, « les mesures de représailles sont prises dès le signalement », alors qu’il faut du temps pour obtenir le statut de lanceur d’alerte. Pour TI France, il faut que le Défenseur des droits doit pouvoir délivrer immédiatement un récépissé au lanceur d’alerte afin qu’il dispose d’un soutien financier et psychologique. Fondée en 2018 par 17 organisations dont des syndicats et des ONG, la Maison des lanceurs d’alerte propose de son côté que soit accordé au lanceur d’alerte le statut de salarié protégé dès le signalement des faits.

Préserver l’anonymat

Certains syndicats et ONG souhaitent bénéficier des mêmes protections que celles du lanceur d’alerte, afin de porter le signalement sans dévoiler leurs sources. Une perspective que les entreprises ne voient pas d’un bon œil, selon Nicolas Guillaume, associé de Grant Thornton : « Certaines sont inquiètes car elles craignent que le lanceur d’alerte ne se fasse manipuler par ce type de facilitateur », dit-il.

La question de l’exonération de la responsabilité pénale suscite aussi des inquiétudes. « Aujourd’hui, lorsqu’un lanceur d’alerte “s’approprie” des documents pour attester de la véracité de son signalement, il peut être poursuivi pour des faits de vol ou d’abus de confiance, comme ce fut le cas pour Antoine Deltour [à l’origine des LuxLeaks – NDLR], souligne Laurence Fabre. La proposition de loi prévoit une exonération pénale si “l’appropriation” des documents ou des données est “strictement nécessaire et proportionnée au droit d’alerte”. Nous serons très vigilants sur ce point. »

La CGT souligne de son côté la faiblesse des dommages et intérêts : « Le lanceur d’alerte ne peut percevoir, au mieux, que 20 % des dommages et intérêts réclamés par l’entreprise si la justice estime qu’il s’agit de mesures de représailles, indique Sophie Binet, cosecrétaire générale de l’Ugict-CGT. Ce taux de 20 % ne doit pas être un plafond mais un plancher minimal et les dommages et intérêts doivent dépendre du chiffre d’affaires pour avoir des condamnations dissuasives. »

La CGC demande pour sa part que les licenciements liés à un signalement soient exclus de la barémisation des indemnisations prud’homales. « Il doit y avoir une réparation intégrale du préjudice subi par le lanceur d’alerte », souligne ainsi Anne-Catherine Cudennec. La responsable de la CGC craint également que les cadres souhaitant lancer une alerte soient freinés par « l’incertitude autour du périmètre du secret des affaires, (…) qui vient s’ajouter à la question de la loyauté professionnelle, corollaire des positions de responsabilité. »

Négocier les dispositifs

Pour la CFDT, la mise en place des canaux internes de signalement doit passer par des négociations avec les syndicats. « Cela permet d’avoir un suivi et des prises d’initiatives pour améliorer les dispositifs, d’impliquer davantage les partenaires sociaux et de les former à une culture positive de l’alerte », indique Franca Salis-Madinier, secrétaire nationale CFDT Cadres. Elle soulève également la question de la protection des « référents » qui, dans les entreprises, recevront les signalements des lanceurs d’alerte : « Des référents nous ont signalé ne pas avoir l’indépendance suffisante pour traiter une alerte ou ouvrir une enquête car souvent ils subissent des pressions de la part de leur hiérarchie. Nous souhaitons que l’indépendance du référent soit mieux assurée avec une protection durant son mandat et qui se prolongerait un an après son terme. »

La Maison des lanceurs d’alerte accompagne actuellement plus de 200 personnes. « La majorité d’entre eux ont subi des représailles, indique Blandine Sillard, chargée de développement. Nous aimerions pouvoir toucher les gens avant qu’ils lancent une alerte afin qu’ils soient mieux conseillés. » Un obstacle que Franca Salis-Madinier propose de réduire avec des campagnes publiques de sensibilisation : « La culture de l’alerte mérite d’être mieux portée auprès des entreprises et des administrations car peu d’entre elles réalisent le coût du silence. Il peut avoir de lourdes conséquences en termes de réputation, de redressement fiscal, de risque économique. Il peut aussi causer une forte démotivation des salariés et notamment des cadres… » Selon cette syndicaliste, la culture de l’alerte contribue à construire « une société plus démocratique et des entreprises plus saines, avec des pratiques plus loyales et responsables ». Un message qui ne semble pas encore avoir été entendu par tous : malgré nos demandes répétées, aucune entreprise ni organisation patronale n’a souhaité s’exprimer sur ce sujet…

Transposition : le risque caché du « morcellement »

La directive sera-t-elle bien transposée ? Le doute est permis selon Marjorie Alexandre, secrétaire confédérale du secteur international de FO, qui pointe le « morcellement » auquel donne lieu cette procédure. Les directives sont en effet transposées à travers de nombreux actes de nature différente (législative, réglementaire et administrative). « Nous ne sommes pas en mesure de déterminer si la transposition correspond aux objectifs fixés par la directive », affirme la responsable de FO, qui déplore ne pouvoir obtenir d’informations que par la lecture quotidienne du Journal officiel… Elle alerte sur les risques : « Des dispositions prévues par la directive peuvent ne pas être mises en œuvre ou être mises en œuvre a minima, ce qui aura un impact direct sur les droits des lanceurs d’alerte. » Pour remédier à cette situation, elle demande la création d’une instance dédiée de dialogue social pour assurer le suivi des transpositions ou bien de confier cette mission à une instance existante, en l’occurrence le Comité de dialogue social sur les affaires européennes et internationales (CDSEI) qui réunit syndicats, organisations patronales et ministères sociaux.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins