Télétravail massif lors de la pandémie, automatisation : le monde du travail change à toute allure. Avec la révolution numérique, nos sociétés arrivent « à un point de bascule anthropologique », estime Pascal Picq. Dans son nouveau livre, le paléoanthropologue du Collège de France (qui intervient en entreprise) jette un regard évolutionniste sur les bouleversements en cours. Selon lui, la brutalité du travail confiné marque une simple accélération dans l’histoire des espèces. Loin du darwinisme (la loi du plus fort et l’élimination des autres), nous sommes dans une crise, « une ponctuation » dans l’évolution. Avec cette phase, il rappelle donc cette tautologie : « La sélection naturelle sélectionne »… Et elle ne crée rien… En clair, les entreprises « vont devoir analyser les changements actuels au regard de ce qui se faisait en matière de travail à distance avant la pandémie, sélectionner les bonnes pratiques, réduire, si ce n’est éliminer les pratiques obsolètes et certainement en inventer d’autres. » Une nouvelle écologie du travail et des tâches va se mettre en place « entre contraintes de la domination du présentiel et celle du tout à distance », assure-t-il. Pour lui, imposer le retour au bureau est archaïque, car le deuxième âge des machines avance. « C’est se priver d’une expérience qui, de toute façon, s’inscrit dans les transformations profondes du travail à distance. » L’évolution ne revenant pas en arrière, les rapports au travail, à la vie privée, aux transports et au monde vont changer. Mais gare aux inégalités…

Après un bref rappel de l’histoire du travail, l’auteur analyse longuement le télétravail lors de la pandémie jusqu’aux défis sociaux qui attendent les entreprises. Un voyage temporel étonnant, où le scientifique croise les comportements des singes et les enjeux d’organisation très concrets. Avec la révolution numérique, la question est de savoir si les entreprises vont s’inspirer des chimpanzés, une espèce « industrieuse » mais « souple », ou des macaques, « où dominent des structures rigides, autoritaires et coercitives. » Évidemment, Pascal Picq préfère les premiers. Si les chimpanzés peuvent nous éclairer, c’est qu’ils « vivent dans ces sociétés de fusion-fission tout en maintenant une cohésion sociale », écrit-il. Les individus « se regroupent et se séparent au sein de leur communauté au gré de leurs besoins, utilisent des outils de pierre et de bois, mais sans pour autant exploiter les autres ». Si des clans dominants existent, ils sont aussi « tolérants et acceptent les délégations de compétences ». Un bon socle social. Mais l’Homo sapiens pourrait faire mieux qu’eux, en matière d’égalité hommes-femmes « et d’inclusion […] de toutes diversités ». Une vision stimulante du changement.