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Le pont sur

Entretien : Redonner du pouvoir au salarié

Le pont sur | publié le : 15.11.2021 | Lucie Tanneau

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Entretien : Redonner du pouvoir au salarié

Crédit photo Lucie Tanneau

Cofondateur d’un fonds d’investissement en faveur des PME, Philippe Latorre est l’auteur, avec Christian Perret, de l’ouvrage Le nouveau contrat social, l’entreprise après la crise1. Selon lui, l’actionnariat salarié peut faire évoluer la gouvernance des sociétés.

En quoi l’actionnariat salarié est-il un atout pour sortir de la crise ?

L’actionnariat salarié n’est pas seulement le fait d’avoir une part de capital, il permet aussi d’être associé à la gouvernance. Il offre un pouvoir pour mettre en place un nouveau contrat social. On parle beaucoup aujourd’hui de la question salariale et du pouvoir d’achat : c’est voir le sujet par le petit bout de la lorgnette. Les prêts garantis par l’État ont sécurisé les banquiers, les actionnaires ont eu peur, mais l’activité repart. Les salariés sont, eux, toujours confrontés à la flexibilité imposée, sans retour à meilleure fortune. Les associer au capital, c’est aller au-delà des salaires et les mettre sur un pied d’égalité avec les autres parties constituantes de l’entreprise et leur offrir le bénéfice d’être investisseurs. J’ai été dans un fonds où les managers investissaient et j’ai vu le succès : cela multipliait leur énergie. C’est vrai pour l’ensemble des salariés.

Pour vous, l’actionnariat salarié fait partie d’une justice redistributive, mais n’est-ce pas le rôle du salaire ?

Le salaire ne change pas, que l’entreprise soit performante ou non. Il peut y avoir des augmentations, mais en cas de cession, les salariés ne touchent pas un centime. L’actionnariat salarié permet de les associer à ce genre d’évènements, par exemple. Et les salariés ne sont pas des « fournisseurs » comme les autres. Ils doivent bénéficier d’un retour plus grand que le salaire.

Les syndicats sont plutôt réticents, voire hostiles…

Je conseille des salariés sur ce terrain et je vois que tous les syndicats ne sont pas contre, même la CGT. Au niveau national, c’est plus compliqué. La CFE-CGC et la CFDT sont plutôt favorables, mais la CGT veut séparer le capital du travail, comme les actionnaires familiaux, d’ailleurs, qui ne veulent pas faire prendre de risques à des salariés ne maîtrisant pas, selon eux, les sujets économiques… Parmi le personnel politique, les avis sont partagés. L’enjeu en France est mal connu et peu d’élus ou de responsables connaissent l’entreprise. Je vois plusieurs pistes pour faire progresser l’actionnariat salarié : des programmes d’actions gratuites, la participation convertie en actions et l’épargne retraite qui pourrait être investie au capital, notamment. On l’a oublié, mais les reprises d’entreprises par les salariés, après la loi de 1984 les organisant, ont bien fonctionné (chez Latécoère, Darty, Spie batignolles…). Pour que ça marche, il faut que les salariés prennent un risque et fassent un chèque. Tout ne peut pas être gratuit, même si les conditions doivent être favorables.

Pour vous, l’actionnariat salarié permettrait de développer la culture économique des Français et dynamiser la vie de la cité. Est-ce le rôle des entreprises ?

Avant d’être motivés à mieux comprendre l’économie, les citoyens doivent être motivés par leur entreprise elle-même, c’est ce qui se passe avec les dirigeants. Comprendre l’économie serait une retombée. Ce n’est pas directement le rôle de l’entreprise, mais donner au salarié à saisir pourquoi il travaille change tout. On le voit lors des restructurations : les informations aident les négociations. C’est le pari de la confiance et de l’intelligence collective. En associant les salariés, on obtient adhésion et motivation. Et si l’entreprise intéresse plus généralement, cela renforce le débat sociétal. Les entreprises sont de plus en plus « politiques » et si l’école doit bien sûr assurer l’éducation, l’entreprise, par sa taille, le temps que le salarié y passe et l’ampleur des sujets qu’elle traite, a la responsabilité « d’élever » ses salariés.

L’actionnariat salarié marquerait-il une prise de pouvoir des salariés pour amorcer une relance différente ?

En Allemagne, il y a souvent 50 % de représentants de salariés au conseil d’administration, au Danemark, 30 %… Il devrait y avoir en France au moins un représentant, ce qui n’est pas le cas, sauf dans les entreprises de plus de 1 000 salariés. Il ou elle apporterait sa connaissance du terrain, information clé pour les actionnaires. De même, cela aiderait les salariés à comprendre, grâce à leur représentant, ce qui se passe au plus haut niveau. Il faut cependant avoir une culture économique pour être au conseil d’administration et pas seulement être dans la tactique, comme le sont les représentants syndicaux.

(1) Le nouveau contrat social, l’entreprise après la crise, Philippe Latorre et Christian Perret, Éditions Le Bord de l’eau, mars 2021.

Auteur

  • Lucie Tanneau