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Jean Pralong : L’expertise du Lab RH

Chroniques | publié le : 15.11.2021 | Jean Pralong

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Jean Pralong : L’expertise du Lab RH

Crédit photo Jean Pralong

Des employabilités

L’employabilité est un exemple parfait de ces notions complexes que le sens commun simplifie. Car l’employabilité est une notion maudite, au croisement entre les comportements individuels, les politiques des entreprises, les lois, les accords et les pratiques des acteurs de l’emploi. Cette pluralité crée une dissonance que la pensée heuristique écrase. Pour la majorité des acteurs, l’employabilité est un stock de compétences approprié aux besoins d’un bassin d’emploi. Est très employable celui qui possède un stock adapté, est moins employable celui dont le stock est moins fourni : celui, donc, qui peut avoir besoin d’une aide extérieure. La formation est entendue comme le moyen de reformer ce stock. Le projet est le plan stratégique individuel qui doit en découler. Cette employabilité heuristique, celle qui semble évidente à la plupart des esprits, est une caractéristique et une responsabilité individuelle.

Mais l’employabilité est aussi une performance : c’est le nombre de mois qu’il faut à un individu pour retrouver un emploi. Posée en ces termes, l’employabilité perd son effet heuristique. Car on comprend aisément que retrouver un emploi nécessite bien plus que des compétences. Être capable de porter un regard juste sur ses compétences et sur ses besoins, savoir quelles compétences développer et comment, être capable de détecter les besoins des entreprises sont des méta-compétences : à compétences égales, elles font l’employabilité.

Dans une société de la connaissance, savoir apprendre, autant par besoin que par appétit, est un élément de différenciation entre les candidats. C’est aussi cultiver les moyens de trouver, de priser et d’appliquer des connaissances. L’apprenance exprime ce rapport proactif au savoir, un rapport de désir et d’anticipation à apprendre. C’est une attitude qui décline les dispositions qui la composent sur trois dimensions : affective, cognitive et conative. Apprendre est le fruit d’un désir, un acte qui est une source de plaisir et qui peut être vécu dans un climat émotionnel positif. Mais apprendre est impossible si le fait même d’apprendre est l’objet de représentations négatives qui s’y opposent. Enfin, apprendre est une mise en actes : c’est la mobilisation effective d’un comportement associé à des buts.

Cette employabilité intrinsèque, lue comme une série de compétences et de méta-compétences, exonère un peu vite les acteurs du marché du travail de leur rôle. Elle suppose la rationalité des acteurs et ne questionne pas les processus de décision en matière d’embauche. Or accéder rapidement à un emploi dépend de l’image que le recruteur se fait du candidat. Le retard français en matière d’emploi des jeunes ne s’explique pas par un déficit de compétences, mais par le poids des stéréotypes qui prêtent aux générations Y et X des caractéristiques comportementales déviantes. Si c’est en France que le recours au CDD de pré-embauche est le plus fréquent, c’est parce que les employeurs français souhaitent plus souvent tester leurs jeunes recrues et lever leurs hypothèques comportementales avant de les intégrer définitivement. L’employabilité dépend de décisions et de comportements qui ne sont pas seulement ceux des individus : l’employabilité n’existe que si elle est perçue. Il y a donc aussi une employabilité perçue : c’est le jugement du marché et des recruteurs. Et l’employabilité heuristique, niant l’influence des entreprises, s’entête à faire porter aux chômeurs la responsabilité de leur chômage…

Auteur

  • Jean Pralong