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Les tiers lieux tiennent-ils leurs promesses ?

Le point sur | publié le : 25.10.2021 | Dominique Perez

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Conditions de travail : Les tiers lieux tiennent-ils leurs promesses ?

Crédit photo Dominique Perez

 

Ils se répandent un peu partout dans les villes de même qu’en milieu rural et leur développement est soutenu par le gouvernement et les collectivités territoriales. Mais leur modèle économique reste encore à définir…

Coworking, « hacker spaces », ateliers partagés, fablabs, incubateurs, épiceries, cafés associatifs… nombre d’initiatives et d’espaces forment une mosaïque disparate, et prennent une importance grandissante dans le paysage urbain mais aussi, de plus en plus, rural. Depuis quelques années, ils sont réunis sous un vocable commun : les « tiers lieux ». D’ici à la fin de cette année, selon les estimations de l’association France tiers lieux, plus d’un actif sur dix aura fréquenté, ponctuellement ou régulièrement, l’un de ces espaces. Un phénomène que ne pouvait pas ignorer le gouvernement. Il a fait de leur développement l’une des priorités du ministère de la Cohésion sociale. Premier acte : une labellisation intitulée « Fabriques de territoire », qui a bénéficié à 80 premiers lauréats en 2020, et 300 en fin de cette année 2021. À la clé : 45 millions d’euros investis pour aider ces espaces déjà créés ou en devenir, que ce soit pour l’embauche de salariés, l’aide à l’acquisition de matériel ou l’accompagnement de projets. Pour Sandrino Graceffa, cofondateur et ex-directeur de la coopérative Smart (services spécialisés et mutualisés), aujourd’hui consultant en formes nouvelles d’emplois et de travail, cette manifestation d’intérêt n’a rien d’étonnant. « Là où, aux États-Unis, ces lieux dans lesquels on expérimente des façons différentes de travailler, d’échanger dans des espaces communs, d’élaborer une gouvernance partagée, ont plutôt tendance à être récupérés par le marché, en France, c’est l’État qui s’en empare. L’une des principales raisons de cet intérêt est à chercher dans le rôle de ces espaces en matière d’aménagement du territoire », dit-il.

Dynamisation

Les tiers lieux concentrent en effet plusieurs vertus non négligeables, en apportant des réponses aux aspirations à travailler autrement des salariés ou indépendants et au besoin de redynamisation de zones rurales ou périurbaines, illustré notamment lors du mouvement des Gilets jaunes. Ce que revendique la ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. « Après le lancement, en juin 2019, d’un programme spécifique, “Nouveaux lieux, nouveaux liens”, le gouvernement a encouragé ce mouvement de fond qui transforme nos territoires, précise Jacqueline Gourault. Ces lieux représentent un véritable potentiel de reconquête économique. Ils suivent les évolutions les plus récentes de notre société : la transition écologique, le numérique, l’apprentissage par “le faire”, le travail indépendant et les nouvelles activités… » Certains tiers lieux accueillent ainsi des services de l’État qui avaient déserté le monde rural (action sociale, poste…), mais le monde de l’entreprise est lui aussi courtisé. C’est le rôle de Maxime Fourcade, chargé de mission économie résidentielle au sein de l’agence départementale Ariège Attractivité. « Nous nous sommes rendu compte que 10 000 à 15 000 personnes sont venues se confiner dans le département en mars 2020, indique-t-il, soit 10 % de la population totale. Il faut trouver une alternative crédible au travail à domicile et l’offre de tiers lieux peut y répondre. Jusqu’à présent, les tiers lieux et autres espaces de coworking étaient plutôt occupés par des travailleurs indépendants. L’un de mes rôles est de convaincre les entreprises d’y envoyer leurs salariés. »

Vers un financement public-privé ?

L’un des grands défis actuels des tiers lieux est de consolider un modèle économique encore balbutiant ou, en tout cas, encore en phase d’expérimentation… Pour la Banque des territoires, qui a mis en place un accompagnement et une aide à l’investissement dans l’ingénierie des projets de tiers lieux, la question est d’actualité. « Ceux que l’on accompagne ont déjà un modèle économique, et de plus en plus cherchent à avoir une autonomie financière qui ne repose pas sur les subventions publiques, constate Audrey Charluet, responsable du programme tiers lieux au département stratégie digitale de la banque. Mais il y a quasiment autant de modèles que de tiers lieux. Certains sont des services publics à part entière, d’autres sont privés… Nous travaillons sur le sujet pour fiabiliser ce modèle, mais c’est encore en cours… » La recherche d’une complémentarité entre subvention d’amorçage et rentabilisation par la location d’espaces, notamment, est la tendance. « Un autre paramètre tient à l’immobilier, précise Marie Aboulker, chargée de mission Smart City-Action Cœur de Ville à la Banque des territoires. Certains locaux sont mis à disposition par des bailleurs sociaux, par exemple, d’autres sont loués, mais la tendance est à l’hybridation, pour pouvoir financer des activités gratuites et tout public, avec des offres de restauration, de location d’espaces de coworking… »

Exemple à Lille, où le tiers lieu le Bazaar St-So, installé dans l’ancienne halle de la gare Saint-Sauveur, soit 5 000 mètres carrés dévolus à « l’économie créative », accueille des publics et des propositions diverses. À côté des ateliers d’artistes et des espaces et temps proposés pour les activités culturelles et associatives, deux espaces distincts sont réservés au coworking. L’un accueille des étudiants, demandeurs d’emploi et/ou porteurs de projet d’entreprise qui bénéficient d’une utilisation gratuite, avec au minimum une quarantaine de places. L’autre, plus au calme, des espaces de bureaux payants ouverts en septembre 2020, avec salles de réunion partagées, où se côtoient environ 220 « résidents » artisans, dont 85 entreprises et indépendants. C’est là notamment qu’est hébergée la coopérative Smart coop, qui a porté le projet à ses débuts, et comprend 35 salariés résidents. Bénéficiant d’un bail emphytéotique de la ville de Lille, le lieu est aujourd’hui géré par une SAS qui compte six salariés. « Nous avons eu des soutiens de la région, de la métropole et de la ville pour la réhabilitation, précise Benoit Garet, responsable du tiers lieu. Nous sommes en passe d’inventer un partenariat public-privé pour l’intérêt général. Si, par exemple, une multinationale veut s’installer, c’est très bien, puisque cela peut nous permettre aussi d’accueillir des associations et d’autres utilisateurs gratuitement. »

Auteur

  • Dominique Perez