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Les clés

La grande évolution du travail, de l’Homo sapiens à nos jours

Les clés | À lire | publié le : 11.10.2021 | Lydie Colders

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La grande évolution du travail, de l’Homo sapiens à nos jours

Crédit photo Lydie Colders

 

Dans Travailler, la grande affaire de l’humanité, l’anthropologue James Suzman revisite l’histoire de notre rapport au travail, des tribus de chasseurs-cueilleurs à nos jours. Éloge de la sobriété – et critique d’un système devenu envahissant au fil des révolutions industrielle et technologique.

Pourquoi notre civilisation actuelle travaille-t-elle autant ? Ce serait parce qu’elle est obsédée « par une économie de la rareté » qui n’avait pas cours chez les premiers Homo sapiens, ni dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs contemporaines, comme les Ju/’hoansi de Namibie, selon James Suzman, anthropologue social à l’université de Cambridge. De fait, selon l’auteur, nous serions des créatures dotées d’appétits insatiables, mais il y aurait « trop peu de ressources pour répondre aux besoins de chacun. » Ce postulat « est aussi le point d’ancrage de nos systèmes financiers et du marché de l’emploi », écrit-il. Or cette notion de rareté n’existait pas chez les premiers chasseurs-cueilleurs, qui « ne vivaient pas sous la menace constante de la famine. Ils travaillaient rarement plus de quinze heures par semaine […] et ne stockaient pas de nourriture », assure l’anthropologue. Dans son odyssée du travail, le chercheur interroge la montée en puissance du labeur constant, la pensée d’accumulation et d’enrichissement (les « réserves »), née avec les premières sociétés agricoles, il y a 12 000 ans. Des concepts exaltés plus tard lors de la révolution industrielle, grâce à l’énergie et au regroupement dans les villes…

Un effort sans fin

Sur le fond, ce qui a transformé notre rapport au travail, selon James Suzman, c’est la distorsion entre « le temps, l’effort et la récompense ». Cette correspondance fondamentale entre ces trois éléments « est aussi intuitive pour un chasseur-cueilleur que pour un préparateur de commandes payé au Smic ». Mais là où le premier profitait immédiatement de sa récompense, le second n’obtient « que la promesse d’une récompense future, sous la forme d’un chèque, qui peut être échangé plus tard contre quelque chose d’utile ou pour rembourser une dette ». Tout a donc changé avec l’avènement de « l’économie différée »… Mais la crainte de la rareté poussera également les agriculteurs à se persuader que les choses s’amélioreraient « s’ils travaillaient un peu plus », là où les chasseurs-cueilleurs « acceptaient stoïquement des difficultés occasionnelles », soutient l’auteur.

L’enjeu de la durabilité

Le voyage est dépaysant, même si l’on perd quelque peu le fil de ce récit croisé. Et l’anthropologue énonce parfois des évidences : les premières machines étaient des animaux (ou des esclaves chez les Romains) tandis que « la lumière des villes » a développé des métiers de service… Si, aujourd’hui, le travail est moins pénible qu’au moment de la révolution industrielle, où est cependant passée l’idée que les machines libéreraient du temps pour les humains, comme le pensait Keynes ? Certes, les salariés du XXIe siècle travaillent moins et ont développé « des habilités multiples », mais Keynes n’avait pas prévu « la nouvelle maladie » du numérique qui supprime des emplois, ni l’anthropocène. Puisque nous sommes désormais capables de prévoir les changements climatiques, « nous sommes aujourd’hui forcés d’estimer les conséquences de notre travail sur une période beaucoup plus longue », souligne James Suzman. Si l’on ne peut revenir tout à fait au mode de vie des chasseurs-cueilleurs, son livre est une invitation à « alléger le poids de notre obsession pour la croissance économique » et à changer notre rapport au travail et à la richesse, ne serait-ce que pour préserver la nature…

Auteur

  • Lydie Colders