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Le fait de la semaine

Travailler est-il vraiment bon pour la santé mentale ?

Le fait de la semaine | publié le : 11.10.2021 | Gilmar Sequeira Martins

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Qualité de vie au travail : Travailler est-il vraiment bon pour la santé mentale ?

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

 

Surcharge de travail et manque de reconnaissance, injonctions contradictoires et perte de sens… Alors que le 10 octobre marque la journée mondiale de la santé mentale et des risques psychosociaux, l’impact du travail sur l’équilibre psychologique des salariés semble de plus en plus fort. Reste à le reconnaître et à le limiter…

À l’aube du 10 octobre, journée mondiale de la santé mentale et des risques psychosociaux (RPS), Jean-Michel Sterdyniak, président du Syndicat national des professionnels de santé au travail (SNPST), dresse un constat alarmant : « Il y a une véritable explosion des RPS dans les entreprises. Au point que ce sujet est apparu dans les débats de l’Assemblée nationale pour savoir s’il fallait aboutir à une reconnaissance de maladie professionnelle. » Les retours de terrain de Preventis, un centre d’intervention pour la santé au travail, mettent en lumière quatre éléments majeurs qui tendent à dégrader l’état de santé mental des salariés, selon la psychosociologue Martine Feltrin. « D’abord, le manque de reconnaissance. Or la manifestation de la reconnaissance des salariés, de leur investissement et de leur implication dans le travail, c’est-à-dire de leur contribution à l’atteinte des objectifs, en dépit parfois d’erreurs, est plus que jamais cruciale », dit-elle. Cette reconnaissance manifestée notamment par la hiérarchie contribue à donner un sens au travail et au bien-être personnel et professionnel des collaborateurs, estime la spécialiste, qui pointe aussi la surcharge de travail : « Elle est devenue structurelle, elle induit un rythme très soutenu, provoque souvent du retard dans les tâches et peut affecter la conciliation vie personnelle-vie professionnelle. » Sans oublier les conflits de valeurs, « élément mentionné le plus souvent par les managers et les cadres, qui se disent soumis à des demandes contradictoires », indique Martine Feltrin. Et enfin, la perte ou la dégradation du sens au travail, « sentiment exprimé notamment par les moins de 35 ans qui s’interrogent sur l’utilité de leurs actions dans le cadre de leur mission. » Et ce n’est pas tout. « À ces éléments, qui peuvent bien entendu se cumuler, enchaîne Martine Feltrin, s’ajoutent les incertitudes et l’anxiété développées dans le cadre de réorganisations, voire de restructurations, ainsi que les impacts émotionnels liés à la crise sanitaire. »

Dialogue social

Les organisations syndicales de salariés, qui estiment déjà que la crise sanitaire et le télétravail imposé ont eu un impact très négatif sur la santé mentale des salariés, veillent au grain. Mireille Dispot, secrétaire nationale de la CGC, rappelle que lors de la négociation sur l’Accord national interprofessionnel (ANI) portant sur la santé au travail, ce syndicat a « milité pour que les RPS fassent l’objet d’une évaluation, au même titre que les autres risques (travaux répétitifs, port de charges lourdes…) ». Elle ajoute que le texte final, signé en décembre 2020, apporte des avancées sur ce point, que la loi sur la santé au travail (adoptée en juillet 2021) conforte. « Nous sommes satisfaits que les parlementaires aient opéré une transformation de la QVT en QVCT (qualité de vie et de conditions de travail), une proposition incluse dans l’ANI », souligne-t-elle. Les conditions et l’organisation du travail devront donc être prises en compte lors des négociations sur l’égalité professionnelle et la QVCT.

« C’est dans l’ANI sur la santé au travail qu’est intégrée pour la première fois la notion de prise en charge de ces RPS, note de son côté Serge Legagnoa, secrétaire confédéral FO. C’est donc un sujet qui doit mobiliser les branches et les entreprises. » Reste que si « l’ANI santé au travail a bien un volet QVT, il est insuffisant pour prévenir les RPS car il est quasiment vide », estime pourtant Pierre-Yves Montéléon, responsable de la « cellule santé au travail » de la CFTC.

Par ailleurs, si le nouvel ANI sur le télétravail, conclu le 26 novembre 2020 et étendu par arrêté du 2 avril 2021, a mis en place des garde-fous dans ce domaine spécifique, les syndicats restent circonspects… « Nous avons sensibilisé nos militants sur les points de vigilance à avoir lors des négociations d’accords de branche ou d’entreprise, souligne ainsi Mireille Dispot, sur des sujets tels que la charge de travail, la possibilité de fractionner le temps de travail, le respect des temps de repos, le respect du droit à la déconnexion et la qualité des équipements. »

Et pour que des négociations aboutissent sur le terrain, encore faut-il que toutes les parties soient à la manœuvre… « Nous incitons les représentants de branches à mettre les RPS à l’ordre du jour, mais il faut bien constater une forme de timidité vis-à-vis de ce sujet », regrette ainsi Serge Legagnoa, qui réclame un changement d’attitude des organisations patronales. « Pour avancer, il faut qu’elles acceptent de lever le tabou qui entoure l’examen des conditions de travail », indique le représentant de FO. De fait, nombre de chefs d’entreprise estiment que l’examen des conditions de travail revient à s’immiscer dans la direction de l’entreprise…

Renverser la logique d’aptitude

La CFTC demande de son côté la renégociation de l’ANI sur la QVT signé en juin 2013 pour trois ans. « Le comité de suivi ne s’est jamais réuni », déplore d’ailleurs Pierre-Yves Montéléon. Sa confédération réclame en outre un renversement de la logique d’aptitude. « Nous demandons que soit évalué le poste de travail afin qu’il soit adapté au salarié. Cela implique une réflexion en amont, de la prévention primaire et une réflexion sur l’organisation du travail. Nous voulons que soit établie la capacité du poste à accueillir des salariés sans porter atteinte à leur santé », explique-t-il. Or le système actuel établit l’aptitude du salarié à occuper un poste en constatant que les risques sont inexistants ou faibles. « Un tel système ne permet pas de prévenir l’usure professionnelle », tranche Pierre-Yves Montéléon, qui appelle également à mieux intégrer les sujets de santé au travail dans la formation initiale et continue.

Enfin, autre obstacle : l’absence de tableau de maladies professionnelles basées sur les RPS, même si les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (C2RMP) les reconnaissent… au compte-gouttes. « La difficulté réside dans l’établissement d’un lien entre la situation de travail, la durée de l’exposition et les symptômes », constate Pierre-Yves Montéléon.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins