Yannig Raffenel : La crise de la Covid-19 et les confinements successifs ont entraîné moins de formations en présentiel. L’e-learning a été proposé aux salariés comme étant la solution pour se former à volonté. Autrement dit, on leur a donné accès à un grand catalogue de formations. Or avec ce modèle, les salariés se forment seuls. On leur donne du contenu mais c’est à eux de se débrouiller. De plus, s’ils ne se forment pas, ils sont coupables ! Cette vision est complètement inadéquate. Cela ne fonctionne pas. L’exemple des Mooc (Massive Open Online Course, formation en ligne ouverte à tous) est emblématique de cet échec. Ils ont d’ailleurs été rapidement abandonnés. En fait, il n’y a que 7 % des salariés qui sont capables de se former tout seuls grâce à leur aptitude à l’autodidaxie. Et plus d’un salarié sur deux n’est pas satisfait de son offre de formation. Les attentes ont évolué2.
Y. R. : La question de l’employabilité est centrale. Les collaborateurs ont conscience qu’ils ne seront pas éternellement liés à leur entreprise. Ils savent qu’ils vont changer d’employeur ou de métier au moins trois ou quatre fois au cours de leur vie professionnelle. Ils commencent à comprendre que la question de la formation est fondamentale.
T. P. : Il faut repenser notre rapport à l’éducation et au travail. C’est même l’un des questionnements les plus marquants de notre époque. Il y a nécessité d’apprendre tout le temps. Les méthodes doivent être plus informelles, dans des situations variées, par le jeu, par les autres et avec les autres. Je prône une approche de l’éducation par les flux. La priorité doit être au décloisonnement et au mélange des genres. Il faut construire des dispositifs d’apprentissage réflexifs, hybrides, multiples et permanents. Ces méthodes sont davantage expériencielles. Les salariés vont aller chercher la bonne connaissance au moment où ils en ont besoin. Ils vont apprendre tout le temps, pas uniquement entre 9 heures et 17 heures. Ils vont ainsi pouvoir faire des petits exercices dans les transports en commun, par exemple. C’est cela, la pédagogie par les flux.
Y. R. : Nous passons effectivement d’une vision d’un stock de compétences que nous avons accumulées à des flux de formations qui vont durer de trois mois à trois ans maximum. Il y a désormais une obligation à se former de manière permanente. Le concept de se former tout au long de sa vie, lancé en 1995 par Édith Cresson alors qu’elle était commissaire européenne chargée de l’éducation et de la formation, est on ne peut plus d’actualité. Selon une étude réalisée aux États-Unis, la part de la formation dans le travail va augmenter de 30 % d’ici dix ans.
T. P. : Le DRH doit changer de posture. Il ne peut plus être celui qui fournit un catalogue. D’autant que choisir une formation de cette façon est une solution de facilité, qui implique peu les équipes de management. Le DRH, qui joue un rôle d’accompagnement du manager, doit convaincre ce dernier de former toute son équipe et non plus uniquement un salarié de son équipe. C’est d’ailleurs ainsi que le DRH renouera avec un axe stratégique et redonnera à sa fonction ses lettres de noblesse et une véritable valeur ajoutée à sa mission.
Y. R. : Aujourd’hui, les entreprises, les institutions d’enseignement supérieur, les acteurs institutionnels, les experts scientifiques ou associatifs du monde de l’éducation et de la formation doivent travailler ensemble pour coconstruire des dispositifs innovants de formation. L’association EdTech a d’ores et déjà réuni 400 entreprises prêtes à expérimenter des projets avec les DRH. Depuis le mois de juin 2021, sur edtechfrance.fr, une application identifie ces entreprises sous forme de cartographie.
(1) L’Art de la performance, de Jérôme Brisebourg, Christophe Hannezo et Thierry Picq (éditions Dunod, 2021).
(2) Selon l’étude « Formation : les nouveaux besoins des salariés », réalisée par Madeinvote en juillet 2021, auprès de 1 021 salariés d’entreprise de plus de 500 collaborateurs.