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Le grand entretien

« Un 360° vite fait sera forcément mal fait » (Karine Arnaud)

Le grand entretien | publié le : 04.10.2021 | Frédéric Brillet

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« Un 360° vite fait sera forcément mal fait »

Crédit photo Frédéric Brillet

 

Dans Préparer et conduire un 360 degrés, Karine Arnaud* décortique les précautions à prendre pour tirer pleinement parti de cet outil qui s’est beaucoup démocratisé.
 
Il y a beaucoup de mythes entourant le 360 degrés. À quoi sert cet outil ? Quelles sont ses limites ?

Karine Arnaud: Le feed-back 360° est un outil de développement des compétences de leadership. Il permet à ceux et celles qui l’utilisent de comprendre comment leurs compétences dans ce domaine sont perçues par les personnes avec lesquelles ils ou elles travaillent. Le 360° fonctionne finalement comme un miroir à multiples facettes. C’est donc un outil très puissant, car si l’image qui nous est renvoyée n’est pas celle que nous souhaiterions, elle donne des clés pour savoir que changer dans notre leadership. Il est important de souligner qu’il s’agit bien d’un outil de développement et non d’un outil de gestion de la performance.

Comment et où est né le 360 degrés ? Quand a-t-il émergé en France ?

K.A: Les origines du 360° sont assez floues, mais cet outil est d’abord apparu aux États-Unis. Des études montrent que la quasi-totalité des entreprises du Fortune 500 l’utilisent aujourd’hui. Pour ce qui est de l’Hexagone, cet outil était déjà très courant dans les grandes entreprises françaises il y a vingt ans. Cela dit, nous manquons de statistiques. Un grand nombre de cabinets proposent des feed-back 360° mais il n’y a pas de données consolidées. Cependant, on assiste vraiment à une démocratisation : quand j’ai débuté dans ce secteur, cet outil était utilisé principalement pour répondre à des demandes précises et ponctuelles. Un manager rencontrait des difficultés liées à son style managérial, un autre souhaitait faire un point pour savoir comment orienter ses efforts de développement. Aujourd’hui, il n’est pas rare que le 360° fasse partie intégrante des processus RH. Certaines entreprises décident d’en proposer un à tout nouveau manager, quelque temps après sa prise de poste. Il est aussi très souvent inséré en amont des programmes de formation au leadership.

Le 360 degrés se pratique-t-il davantage dans certaines entreprises ?

K.A: La taille demeure le critère principal. Presque toutes les multinationales utilisent des feed-back 360°, mais c’est plus rare dans les entreprises de taille intermédiaire. La raison tient essentiellement à la nature de la fonction RH : les multinationales ont des services RH étoffés et des pratiques sophistiquées.

Comment s’exprime généralement la demande pour un 360 degrés ?

K.A: De nombreux cas de figure sont possibles. Un cadre peut en faire la demande à son supérieur ou à la DRH. À l’inverse, la DRH ou la direction générale peuvent recommander cet outil à un collaborateur. Autre cas de figure, une équipe – parfois de direction – peut décider que tous ses membres y recourent afin de réfléchir à la manière dont leur leadership est perçu. Finalement, l’essentiel est que les intéressés adhèrent pleinement à la démarche. S’ils ne sont pas à l’origine de la demande, il faudra faire en sorte qu’ils en voient clairement les bénéfices.

Qu’est-ce que traduit un refus de recourir à cet outil ?

K.A: Je ne parlerais pas forcément de refus. L’utilisation d’outils de feed-back 360° doit répondre à un besoin. On ne fait pas de 360° parce que « ça fait bien » ou pour faire comme son voisin. Et il arrive que des entreprises n’aient pas ce besoin, ou en tout cas, que ce ne soit pas leur priorité du moment. Il est vrai aussi qu’une entreprise qui a une forte culture du feed-back sera plus encline à utiliser ce type d’outils.

Vous estimez que les 360 degrés n’ont pas la considération qu’ils méritent. Pourquoi ?

K.A: Du fait de leur démocratisation, les outils de feed-back 360° sont devenus parfois une sorte de truc qu’on peut faire vite fait, bien fait et qui ne demande pas beaucoup d’attention. C’est un leurre : un 360° vite fait sera forcément mal fait. On se contente alors de lancer des questionnaires, rassembler les réponses et produire un rapport de feed-back envoyé à l’intéressé qui le parcourt avec un coach. Et les choses s’arrêtent là… En conséquence, on n’améliore pas les compétences de leadership de l’intéressé. Si les entreprises n’attachent pas d’importance à ce qui se passe après la séance de feed-back avec le coach, le processus de développement s’arrête et l’objectif initial n’est pas atteint.

En quoi un 360 degrés bien conduit apporte-t-il un vrai retour sur investissement ?

K.A: Un 360° bien conduit permet d’accéder aux perceptions que l’on génère : j’ai mes intentions – que les autres ne voient pas – et il se peut que mes comportements ne les reflètent pas fidèlement. Ceci crée un décalage entre l’image que je crois projeter et celle qui est perçue par mon entourage professionnel. C’est en évitant ce décalage préjudiciable au travail en équipe que le 360° génère un retour sur investissement. Par ailleurs, développer ses compétences managériales a un effet direct sur la performance, comme cela a été démontré par une recherche menée en 2014 par Barnfield et al. sur l’impact des compétences de leadership. Ces aptitudes expliquent 43 % à 64 % de la performance au travail.

Pour réussir son 360 degrés, faut-il opter pour un questionnaire standard ou sur mesure ?

K.A: Un questionnaire sur mesure coûte plus cher mais est généralement plus pertinent puisqu’il reflète les attentes de l’entreprise en matière de compétences managériales. Cela dit, il ne faut pas surestimer son importance, sachant que le retour sur investissement vient des changements de comportements à l’issue du 360° et non de la qualité du questionnaire.

Vous insistez sur la nécessité d’aligner objectifs et rôles de toutes les parties prenantes…

K.A: De nombreuses personnes interviennent au cours d’un projet 360° : l’intéressé, ses répondants – les personnes qui lui donneront le feed-back –, mais aussi son supérieur hiérarchique ou les RH. Le fait que chacun connaisse la contribution qu’il apporte pour atteindre un objectif commun constitue un important élément de succès. C’est ainsi que s’organise une sorte d’écosystème autour de l’objectif unique : soutenir l’intéressé afin qu’il améliore ses compétences de leadership.

Comment bien communiquer et rassurer sur un projet de 360 degrés ?

K.A: Dire ce qu’on fait et faire ce qu’on dit est pour moi la règle numéro un ! Pour qu’un 360° soit une réussite, il faut savoir créer un environnement de confiance. Si certaines personnes n’ont pas confiance dans ce processus, le feed-back sera biaisé car insincère. Et si le rapport que je reçois n’est pas le reflet réel de la façon dont je suis perçue par les équipes avec lesquelles je travaille, les conclusions que je vais en tirer – à savoir quelles sont les compétences sur lesquelles je vais concentrer mes efforts de développement – ne seront pas les bonnes. Créer un environnement dans lequel les collaborateurs savent qu’ils peuvent s’exprimer librement sans craindre quoi que ce soit pour eux-mêmes ou pour autrui est crucial. La communication doit donc cibler l’ensemble des intervenants et ne pas s’adresser uniquement aux intéressés.

Que faire quand le feed-back renvoyé n’est pas celui qui est attendu ?

K.A: Il arrive parfois que les reflets renvoyés par ce miroir qu’est le 360° ne soient pas ceux espérés. C’est dur, mais je pense qu’il est toujours préférable d’en prendre conscience dans le contexte sécurisant d’un échange confidentiel avec un coach plutôt qu’à la machine à café ou pendant une réunion… C’est donc le rôle du coach, pendant la session de feed-back, de travailler à l’acceptation des messages renvoyés : il doit aider à identifier ce qui, dans les comportements, peut entraîner de telles perceptions. Et bien sûr, insister sur le fait que les résultats d’un 360° ne sont pas gravés dans le marbre, mais sont là pour évoluer grâce aux efforts de développement qui seront entrepris.

Comment bien gérer le plan d’action suivant le feed-back ?

K.A: Le plan d’action est un élément critique puisque c’est dans ce document que l’intéressé transpose ses priorités de développement en actions concrètes. Ensuite, sa mise en œuvre fait toute la différence : un magnifique plan de développement qui reste dans un tiroir n’a jamais amélioré quoi que ce soit. Dans les étapes d’un projet de feed-back 360°, il faut que la phase de mise en œuvre du plan de développement soit prise en compte avec le même sérieux que celles qui précèdent. L’entreprise doit donc soutenir et encourager les intéressés. La recette est de faire en sorte que le plan d’action soit partagé, par exemple avec le supérieur hiérarchique, pour que ce binôme « intéressé-boss » se voie régulièrement et échange sur les progrès réalisés et les obstacles rencontrés. Il arrive que certains supérieurs hiérarchiques soient mal à l’aise dans ce rôle de coach. C’est alors aux RH de les épauler ou de prendre le relais de ce travail de suivi avec les intéressés.

 
 

*Karine Arnaud rejoint au début des années 2000 un cabinet de conseil spécialisé dans le développement du leadership et de la gestion des talents. Elle évolue depuis presque une vingtaine d’années au sein de cabinets tels que Personnel Decisions International, Korn Ferry et plus récemment LHH, où elle conseille ses clients sur le développement de leurs talents afin de répondre aux enjeux des entreprises. Elle a publié Préparer et conduire un 360 degrés aux éditions Gereso (juillet 2021).

Auteur

  • Frédéric Brillet