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Pénurie de main-d’œuvre : Le casse-tête du recrutement dans la santé

Le point sur | publié le : 20.09.2021 | Lucie Tanneau

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Pénurie de main-d’œuvre : Le casse-tête du recrutement dans la santé

Crédit photo Lucie Tanneau

 

Alors que les établissements de santé manquaient de bras, la pandémie de Covid-19 a accentué les difficultés de recrutement. Les différentes réformes de l’hôpital avaient placé les DRH dans le rôle de gestionnaire, la crise leur a redonné une mission stratégique. Ils doivent désormais travailler la qualité de vie au travail, le dialogue social et la marque employeur s’ils veulent attirer des candidats –  et les garder…

Dans le sillage d’une étude pour la Fédération hospitalière de France, Jérôme Miara, PDG d’Obea, un cabinet spécialisé en ressources humaines, management, digital et communication, déclarait en 2018 : « Les DRH des établissements de santé souhaiteraient s’investir plus largement dans l’organisation du travail, les conditions de travail, la fidélisation et l’attractivité. Mais c’est d’abord la maîtrise de la masse salariale qui les mobilise, pour plus de huit DRH sur dix. » Et pour cause, la masse salariale représente en moyenne 70 % des dépenses des hôpitaux publics. Pis, les effectifs servent de variable d’ajustement depuis l’adoption, en 2004, de la tarification à l’activité. Le personnel médical est descendu dans la rue, en 2019, puis – sans réponse à ses demandes – a retrouvé, Covid oblige, le chemin des Ehpad, des hôpitaux et des centres de vaccination…

« Nous n’avons jamais autant recruté », relève aujourd’hui Céline Dugast, la DRH du CHU de Strasbourg (13 000 collaborateurs, soit le plus gros employeur de la région Grand Est). Grâce au « quoi qu’il en coûte » et aux heures supplémentaires à foison, le budget n’a pas été un problème durant les derniers mois. « Pour autant, c’est la première fois que je ne suis pas au plein emploi », ajoute la DRH, membre du bureau de l’Association pour le développement des ressources humaines dans les établissements sanitaires et sociaux (ADRHESS). L’année a été difficile. Et le défi de l’attractivité se révèle de plus en plus prégnant pour elle comme pour les autres DRH, partout en France. À court terme, l’obligation vaccinale pour les soignants – à partir du 15 septembre – va soustraire une partie de la main-d’œuvre, du fait que 12 % des effectifs n’étaient pas vaccinés au 10 septembre.

À plus long terme, c’est une nouvelle tendance qui complique le métier de recruteur. « Depuis les années 2000, nous entendions des professionnels de santé se questionner sur leur avenir. La crise Covid a ouvert la porte aux reconversions », souligne ainsi Céline Dugast, qui anticipe cependant des retours dans les cinq ans. « Il y a deux ans, le DRH croulait sous les CV et sélectionnait. Aujourd’hui, nous faisons du sourcing, c’est une course à l’outil », renchérit Yvan Le Guen, DRH de l’établissement public de santé mentale de Caen (1 400 agents), qui a également accepté que certains de ses agents passent à mi-temps pour tenter des reconversions dans la menuiserie, la logistique, la médiation animale… Il a aussi été le premier dans son département à investir dans un logiciel professionnel de recrutement, désormais également utilisé par le CHU voisin. « Nous avons davantage de besoins et moins de main-d’œuvre, et la sociologie des candidats a changé, ajoute-t-il. Plus personne ne veut de CDI. Les professionnels veulent tester le collectif de travail avant de s’engager et préfèrent les missions courtes. » Ce turnover choisi est nouveau dans la fonction publique. Et c’est un casse-tête supplémentaire pour les DRH, qui misent par ailleurs de plus en plus sur les compétences émotionnelles et d’adaptation. « Cela demande plus d’accompagnement, mais on gagne en fidélité », relève toutefois à cet égard Yvan Le Guen.

 

Revoir la marque employeur

Une autre problématique tracasse Céline Dugast, la DRH de Strasbourg. « Les infirmiers en sortie d’école ne candidatent plus au CHU : ils disent que nous sommes trop grand, trop spécialisé et trop expert », se désole-t-elle. « Ces atouts, que nous défendions, ne correspondent plus aux attentes des candidats : nous allons devoir revoir notre marque employeur, ajoute-t-elle, tout en travaillant à rééquilibrer les disciplines et la communication interne, pour faire des salariés des alliés dans le recrutement. »

Face à ces enjeux, les DRH se réinventent. Le Ségur de la santé, qui aboutit à une revalorisation des professions, peut être une chance. Mais « nous avons quinze ans de retard sur l’attractivité en matière de carrière et de rémunération », regrette Anne Meunier, directrice du CHU de Rouen depuis 1992 et secrétaire générale du Syncass-CFDT, le syndicat des cadres de direction, médecins, dentistes et pharmaciens des établissements sanitaires et sociaux publics et privés. « Les DRH tentent depuis des années de concilier maîtrise de la masse salariale et contrainte du taux de marge brute. La crise a démontré que le fonctionnement collectif, au plus près des patients, est ce qu’il faut viser. Pour cela, il faut stabiliser les moyens de l’hôpital », martèle-t-elle, avant d’encourager ces DRH pris en étau d’un « quand on n’a pas de pétrole, on a des idées »… D’aucuns travaillent à la fois sur les systèmes d’information pour rendre les plannings plus souples et ne pas laisser les cadres de santé décider au pied levé des remplacements, sur l’environnement qualitatif, avec des possibilités de garde d’enfants et d’horaires plus souples, et sur l’égalité salariale, le recrutement, l’avancement… Avec un maître-mot pour les prochains mois, et alors que les personnels des établissements de santé ont été pressurisés par un an et demi de crise sanitaire : la qualité de vie au travail. « La santé au travail et la QVT sont des sujets sur lesquels nous ne pouvons pas nous tromper, alors que nous avons eu des décès et des expériences vraiment difficiles ces derniers mois », reconnaît Yvan Le Guen, le DRH de Caen. Les leviers sont déjà identifiés, ce sont la valorisation et l’individualisation des parcours, d’une part, et la reconnaissance au quotidien par un traitement équitable entre personnel médical et non médical, de l’autre. « Les personnels non médicaux sont les plus nombreux et ils sont définis par une négation, cela pose question… », souligne ainsi Céline Dugast, du CHU de Strasbourg, qui veut aussi réfléchir au collectif de travail. De fait, « c’est un élément manquant aujourd’hui : chaque établissement fait son organigramme, mais en matière de représentativité des uns et des autres, d’espaces de discussions communs, de QVT commune, il reste à trouver des modèles d’organisation. Les DRH et les directeurs des soins travaillent ensemble, mais il faut des moyens pour cela », confirme de son côté Anne Meunier, la directrice du CHU de Rouen.

 

DRH au centre

« Le rôle de la CSSCT au sein du CSE a pris de l’envergure pendant la crise sanitaire et a accentué le rôle des instances. Il a été utile comme garde-fou et nous devons remobiliser cet outil », complète Yvan Le Guen. Les directions des ressources humaines sont de fait remises au centre. « Avec le risque d’attendre l’équipe providentielle », met-il en garde, estimant lui aussi que rien « ne peut se résoudre sans ressources ». D’autant qu’en plus, ajoute-t-il, « on nous demande de travailler localement, sur des thématiques obligatoires, et d’être dans la concertation – ce qui est une rupture dans la gestion administrative –, mais on remarque en même temps une tentation de pilotage du ministère, qui va à l’encontre de l’autonomie… » Bref, si « les DRH sont des empêcheurs de tourner en rond, ils ne peuvent pas toujours tout quantifier – pas plus le dialogue social que la QVT », conclut-il. Les besoins et la ressource ont évolué, et les DRH, loin du « chef du personnel » d’autrefois, essentiellement chargé du recrutement et de la paie, sont désormais dotés d’un nouveau rôle, celui d’attirer et de fidéliser les talents. Mais avant d’écrire une énième politique de santé, encore faudrait-il leur laisser le temps d’endosser leurs multiples costumes – gestion territoriale, pilotage RH, management, QVT, gestion statutaire, nouvelles technologies, affaires médicales, dialogue social… – sans oublier de former les cadres de santé aux questions RH et au management.

Auteur

  • Lucie Tanneau