Frédéric Bizard, économiste spécialisé, travaille actuellement au sein d’un collectif sur la refonte des systèmes de santé. Il pointe le manque d’attractivité des établissements, conséquence des politiques passées.
Non, la crise des RH ne date pas de la Covid-19. Elle existe depuis dix ans. Elle est multifactorielle. Elle est liée à une évolution de la gouvernance des institutions hospitalières et médicales avec une forte concentration de la décision. Les pouvoirs publics ont eu une vraie intention de démédicaliser le secteur. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, l’étatisation très forte du système français a donné tout pouvoir aux agences régionales de santé. La démocratie sociale et sanitaire, autrement dit la participation des soignants dans les décisions de prise en charge des malades, a disparu.
Il n’y a pas de crise de la vocation. Au départ, le métier est attractif. C’est ensuite que cela se gâte ! Par exemple, la durée de vie professionnelle moyenne d’une infirmière à l’hôpital public est de sept ans. Soit elle change de statut et devient infirmière libérale, ou alors elle change de métier. L’épuisement psycho-socio-professionnel à l’hôpital public est pernicieux tandis que l’environnement hospitalier devrait être empreint d’humanité. On peut former autant d’infirmières que l’on voudra, la situation ne changera pas. Ce qui compte, c’est l’environnement de travail. Les établissements ont perdu le sens de leur mission car le personnel, à tort ou à raison, est devenu une donnée purement comptable et administrative.
Il faut repenser l’hôpital et les métiers pour les adapter aux nouvelles générations. Dans le privé, quand une entreprise a du mal à recruter ou à fidéliser, elle s’adapte. L’hôpital doit s’adapter et permettre aux infirmiers, par exemple, de travailler à l’extérieur. Cela s’appelle la territorialisation.
Contrairement aux hôpitaux qui existent depuis soixante-dix ans, les Ehpad sont plus récents. Ils ont d’abord été conçus pour les personnes âgées et fragiles qui présentaient plusieurs comorbidités. Puis sont arrivées les maladies neurodégénératives. Les patients sont devenus plus lourds à accompagner. Les Ehpad se sont retrouvés au centre de la prise en charge des personnes âgées. En outre, on leur permet de fonctionner de manière complètement sous-équipée, ce qui a enrichi les actionnaires. Dans le public, le ratio est de 60 personnes équivalent temps plein pour 100 résidents et il est encore moins élevé dans le privé à but lucratif. La hiérarchie des valeurs a été inversée : l’immobilier a été priorisé au détriment des RH et de l’innovation technique.
Parmi les 33 mesures de conclusion figurent 8,2 milliards d’euros par an pour revaloriser les métiers des établissements de santé et des Ehpad, et reconnaître l’engagement des soignants au service de la santé des Français. Quelque 15 000 recrutements sont prévus à l’hôpital public. Or il n’y a pas une mesure du Ségur qui est financée ! On a mis la charrue avant les bœufs. Pour s’en sortir, il n’y a pas 36 solutions : réformer ou retomber dans une politique stricte inacceptable socialement.
Le système de santé a été réformé pour la dernière fois il y a 70 ans avec la loi Debré et l’ordonnance n° 58-1373 du 30 décembre 1958 relative à la création de centres hospitaliers et universitaires, à la réforme de l’enseignement médical et au développement de la recherche médicale. Aujourd’hui, il n’y a aucun intérêt de la part des personnels politiques à réformer. Non parce qu’ils se désintéressent du sujet mais, par défaut, parce qu’ils ne savent pas ce qu’il faut faire. Nous devons leur apporter la solution. Après avoir mené des échanges au sein d’un groupe qui réunissait des acteurs, de la CGT aux syndicats les plus libéraux, nous avons fait émerger une solution consensuelle. Cependant, nous n’avons pas encore une proposition suffisamment aboutie. Il reste la dernière étape. Nous animons actuellement des conférences avec des politiques de tout bord. Nous en reparlerons après l’élection présidentielle. L’un des obstacles est de convaincre que nous ne pouvons plus continuer comme cela.