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Le fait de la semaine

Bruxelles veut améliorer le sort des travailleurs des plateformes

Le fait de la semaine | publié le : 20.09.2021 | Olivier Hielle

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Conditions de travail : Bruxelles veut améliorer le sort des travailleurs des plateformes

Crédit photo Olivier Hielle

 

La seconde phase de la consultation des partenaires sociaux européens sur le sujet s’achève le 15 septembre. Organisations patronales et syndicats ont apporté leur point de vue à l’institution. Mais les points de vue sont, sans réelle surprise, assez divergents. 

Comment assurer des conditions de travail dignes pour les travailleurs des plateformes, sans briser le potentiel de développement économique de ces entreprises ? Un gros dilemme, qualifié sans détour de « paradoxe » par les organisations syndicales, que la Commission européenne s’est fixée à résoudre. La deuxième phase d’une grande campagne de consultation des partenaires sociaux au niveau européen s’est achevée le 15 septembre à minuit. Patronat et syndicats étaient invités par l’institution à donner leur avis sur les évolutions souhaitées – ou non – de la législation.

Le tout début de ce travail de longue haleine a commencé en février dernier, avec l’initiative de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. Avec environ 24 millions d’européens qui travaillent pour les plateformes soit 11 % de la totalité des travailleurs, le phénomène prend de l’ampleur. L’objectif principal tient en une phrase : améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes. Bien plus que les livreurs à vélo qui ont défilé dans un Paris désert pendant le confinement, sans masque ni gel à disposition, ces travailleurs regroupent plus largement l’ensemble des personnes qui travaillent avec un statut d’indépendant. 

Au total, quatorze organisations patronales et syndicales ont contribué à la première phase de la consultation. Les deux parties se retrouvent globalement sur les problèmes identifiés par la Commission européenne : il est plus que temps de travailler sur la protection sociale, la santé et la sécurité des travailleurs d’une part, et de la transparence et de l’égalité de traitement de la part des plateformes d’autre part. C’est cependant le seul réel consensus entre patrons et syndicats européens…

Les organisations patronales, BusinessEurope en tête, considèrent qu’une solution uniformisée n’est pas possible et qu’il faut agir au niveau national. Principal argument avancé : « les plateformes ne sont pas un secteur économique en tant que tel, mais répondent au contraire à une grande diversité de modèles ».  Plus particulièrement, BusinessEurope note que « l’action possible de l’Union devrait respecter la diversité des besoins et des souhaits de ceux qui travaillent pour les plateformes ». Surtout, elle insiste, dans sa contribution à la seconde phase qu’Entreprise et Carrières a pu consulter, que cette diversité des plateformes est l’une des composantes essentielles de son attractivité et de son potentiel de développement économique. En outre, pour BusinessEurope, « offrir des services via un intermédiaire numérique est un exemple positif de la diversification des modes et des organisations du travail, ce qui offre des opportunités pour les individus qui cherchent plus de flexibilité et d’autonomie ».

C’est justement cette « flexibilité » et cette « autonomie » qui peut parfois poser problème… Les syndicats sont au contraire pour une protection active des travailleurs des plateformes et une mesure coercitive : « A Eurocadres, nous demandons clairement une directive, explique Nayla Glaise, qui a produit les réponses à la consultation. Ça fait très longtemps qu’on parle de ces sujets. Il y a eu plein de codes de bonnes conduites, des chartes, des recommandations etc. Aujourd’hui on a besoin de mesures contraignantes, sinon les objectifs de la commission ne seront jamais atteints ».

Eurocadres partage avec la Confédération européenne des syndicats (CES) l’idée d’un renversement de la charge de la preuve du salariat, adoptée en Espagne (voir encadré). Aujourd’hui, c’est aux travailleurs indépendants d’aller devant les juridictions des Etats pour faire reconnaître leur qualité de salarié, ce qui en rebute un certain nombre. Avec la proposition des syndicats, la qualité de salarié serait présumée, l’employeur devant, s’il le souhaite, démontrer l’absence de lien de subordination.

La volonté de reconnaître les travailleurs des plateformes comme des salariés est la grande bataille des syndicats au niveau européen, mais elle n’est pas la seule : « Il n’y a pas que la question du statut de salarié, poursuit Nayla Glaise, mais aussi le package autour, en particulier la formation. Chez les travailleurs des plateformes, il y a beaucoup d’autres postes que livreur à vélo : développeurs, des traducteurs, designers, formateurs, spécialistes en intelligence artificielle etc. Ce sont des métiers qui évoluent très vite, et l’absence de formation peut conduire à une baisse du potentiel d’emploi. Les plateformes doivent être reconnues comme employeurs ».

A l’issue de la consultation, la Commission européenne aura deux possibilités : soit faire une proposition de directive ou de règlement, soit favoriser la conclusion d’un accord entre partenaires sociaux européens au titre de l’article 155 du traité de fonctionnement l’Union européenne.

S’agissant d’un potentiel accord, même BusinessEurope reste sceptique : « Etant donné que cette initiative ne concerne pas seulement les salariés et le marché du travail en tant quel, mais aussi les travailleurs indépendants, il ne nous semble pas approprié d’intégrer les négociations car cela dépasserait notre mandat. » Les plateformes n’étant pas employeurs, elles sont en effet absentes des organisations patronales…

Et même si la Commission accouche d’une proposition de texte, il restera encore à convaincre le Conseil de l’Union européenne, qui réunit l’exécutif de chaque Etat membre, ainsi que le Parlement européen. Vu la divergence des vues, la question est loin d’être complètement démêlée.

 

Auteur

  • Olivier Hielle