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"Bonus-malus : Un dispositif utile, mais mal calibré" (Gilbert Cette et François Fontaine)

Le point sur | publié le : 13.09.2021 | Irène Lopez

 

François Fontaine, professeur à l’École d’économie de Paris, et Gilbert Cette (photo), professeur d’économie à Neoma Business School, apportent un regard croisé, et parfois opposé, sur le bonus-malus concernant les contrats courts.
 
Que pensez-vous du dispositif bonus-malus sur les contrats courts ?

François Fontaine : Avec l’instauration du bonus-malus sur les contrats courts, nous avons passé un cap. C’est nouveau et c’est un mécanisme intéressant car il met les entreprises dans la même logique de responsabilisation que celle des demandeurs d’emploi que l’on incite à « sortir du chômage ». J’espère que cette réforme sera couronnée de succès. Dans le cas contraire, le dispositif bonus-malus risque d’être définitivement écarté alors qu’il peut être très efficace s’il est correctement calibré.

Gilbert Cette : Le bonus-malus sur les contrats courts tel qu’il a été instauré n’est pas satisfaisant. Je suis en faveur de la réforme de l’assurance chômage. Du côté des salariés, le changement de la formule de calcul de l’allocation était nécessaire et a été mené à bien. Côté employeurs, le paramétrage du bonus-malus est trop complexe.

 

Quelles sont les principales limites de la réforme ?

F. F. : La limite du dispositif est un nombre de secteurs trop faible – sept secteurs, ayant des taux de séparation au-dessus de 150 %. Or, même dans les secteurs dits vertueux, il y a des situations très hétérogènes. On va donc rater de nombreux employeurs aux pratiques coûteuses pour l’assurance chômage. En outre, le mécanisme proposé présume d’un lien direct entre le taux de séparation et ce que les entreprises coûtent à l’assurance chômage. En fait, une entreprise peut avoir un taux de séparation faible mais être coûteuse pour la collectivité car ses anciens salariés restent longtemps au chômage, par exemple parce qu’ils n’ont pas été correctement formés.

G. C. : Cantonner le bonus-malus à sept secteurs est une aberration, d’autant plus que certains en sont exemptés la première année. Pourquoi ne pas impliquer les entreprises qui ont fortement recours aux contrats courts dans les autres secteurs ?

 

Le taux de séparation est-il pertinent ?

F. F. : L’indicateur choisi n’est pas le plus indiqué. Aux États-Unis, il existe un dispositif, l’Experience Rating, créé dans les années 1930, juste après la Grande Dépression. Concrètement, chaque entreprise possède un compte à l’assurance chômage. L’image du compte en banque est facilement compréhensible. Au crédit de l’entreprise figurent ses cotisations. Au débit, les indemnités versées aux salariés dont le contrat est terminé. Si l’entreprise est débitrice sur plusieurs années, ses cotisations augmentent et inversement si elle est créditrice : c’est la même logique que celle du pollueur-payeur. Si le choix d’un calcul similaire n’a pas été retenu en France, c’est parce que le taux de séparation paraissait un critère plus simple à mettre en place. En effet, il ne dépend que des données de la déclaration sociale nominative, alors qu’un système de type nord-américain aurait dû reposer sur plusieurs sources, les données Acoss pour les cotisations et celles de Pôle emploi pour les allocations versées. Cela posait sans doute une difficulté d’homogénéité et de coordination des sources et de leurs producteurs.

 

Les syndicats plaident pour des variations plus fortes. Pourquoi les faire osciller seulement entre 3 % et 5,05 % ?

F. F. : En ce qui concerne la fourchette limitée des taux de cotisations, il s’agit sans doute d’une volonté de limiter dans un premier temps les variations des cotisations. Il s’agit d’une première étape. L’idée initiale de la réforme est de changer la règle du jeu. C’est comme le fait que le point de référence – le taux de séparation médian – soit défini par branche. Ce n’est pas le principal problème. Par la suite, il sera possible de réfléchir à un autre mode de calcul.

G. C. : Le plafond de 5,05 % n’est pas “désincitatif”. Ce taux, trop modeste, ne va pas décourager les entreprises. Elles continueront à avoir recours aux contrats courts.

 

Quelle solution serait plus performante ?

G. C. : Une dégressivité de la taxation avec l’ancienneté individuelle du salarié aurait été plus pertinente. Plus le salarié reste dans la même société, moins son patron est taxé. C’est la thèse défendue par Bruno Coquet, chercheur affilié à l’OFCE, et Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l’OFCE, dans le rapport réalisé pour le Sénat intitulé « Pour une régulation économique des contrats courts sans contraindre les entreprises, en préservant l’Assurance chômage », remis en décembre 2018. Cette solution est indépendante du statut du contrat.

Auteur

  • Irène Lopez