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Le fait de la semaine

Augmentation des salaires, recrutement : oui mais comment ?

Le fait de la semaine | publié le : 13.09.2021 | Gilmar Sequeira Martins et Benjamin d’Alguerre

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Rémunérations : Augmentation des salaires, recrutement : oui mais comment ?

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins, Benjamin d’Alguerre

 

Le lien entre salaires trop faibles et pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs semble désormais faire consensus. Reste à savoir comment amorcer le mouvement et dans quelles conditions.

Sur le papier, tout va bien. Avec des prévisions de croissance économique à plus de 6 % pour cette année et un manque de main-d’œuvre hérité de la crise, tous les clignotants semblent au vert sur le front de l’emploi et des rémunérations… Cependant, gare à l’excès d’optimisme, alerte l’Observatoire annuel de la rémunération de LHH. Dans son baromètre annuel des perspectives d’augmentations salariales, il note que pour les mois qui viennent, l’augmentation des salaires ne s’affichera qu’à 1,45 %. Soit le taux le plus faible depuis dix ans… Pis, les 55 % d’employeurs qui comptent accorder un coup de pouce salarial à leurs collaborateurs mobiliseront des budgets inférieurs à ceux de 2020. Et c’est compter sans les 15 % d’entreprises qui entendent n’accorder aucune augmentation à leurs salariés avant 2022 et les 19 % qui envisagent carrément de jouer la carte de l’austérité. Pourtant, d’en haut, les entreprises sont encouragées à augmenter les salaires.

 

« Forcément »

Depuis l’université d’été du Medef, organisée à Longchamp fin août, Geoffroy Roux de Bézieux, le patron des patrons, observait qu’actuellement, « le sujet numéro un des entreprises n’est plus la pandémie, mais le recrutement ». Quelle sera la conséquence de cette situation, selon lui ? Réponse : « Il y aura forcément des augmentations [de salaires] assez significatives l’année prochaine », a-t-il avancé. La CPME lui a emboîté le pas, en indiquant même que les patrons en étaient à craindre « que l’augmentation des salaires ne suffise pas pour faire face à la pénurie de compétences, qui ne s’explique pas simplement par des éléments conjoncturels mais également structurels », précise-t-on parmi les troupes de François Asselin.

Les syndicats de salariés ont fait de ces questions leur cri de ralliement pour la rentrée sociale. À l’invitation de la CGT, plusieurs organisations (FO, Sud Solidaires, FSU, Unef…) se préparent à battre le pavé le 5 octobre prochain. Et les exigences sont claires : « Les plus grandes entreprises ont un devoir d’exemplarité. Elles doivent créer plus d’emplois stables, puisqu’elles sont abreuvées de fonds publics avec le plan de relance à 100 milliards d’euros, ce qui les soumet à une obligation de résultat », lance Boris Plazzi, secrétaire confédéral cégétiste. Même tonalité du côté de FO, où l’on considère que l’heure du rattrapage salarial est venue. « Pendant la crise sanitaire, l’activité partielle a permis de préserver l’emploi – mais au prix d’une perte de pouvoir d’achat pour les salariés, alors que les entreprises n’ont pas été pénalisées puisque la masse salariale était prise en charge à 100 % par des fonds publics », explique Yves Veyrier, son secrétaire général. La revalorisation des salaires est d’autant plus nécessaire que l’inflation repart et que « les profits des entreprises du CAC 40 et le versement des dividendes aux actionnaires ont retrouvé leur niveau d’avant crise », ajoute-t-il.

La CFTC n’a pas répondu à l’appel à manifester de la CGT, mais elle compte bien jouer sa partition. Anticipant les futures négociations annuelles obligatoires (NAO) qui se tiendront en fin d’année, son président confédéral, Cyril Chabanier, prévient que la hausse du pouvoir d’achat des salariés ne saurait se limiter aux seules primes exceptionnelles de pouvoir d’achat (« PEPA », les ex-primes Macron désocialisées et défiscalisées instaurées en 2019) : des augmentations salariales doivent suivre. Et il avertit : « Si la négociation sur la prime PEPA est englobée dans celles sur les NAO, le risque de compensation est plus fort. Vouloir tout discuter en même temps est rarement bon signe… »

Reste à savoir qui enclenchera le mouvement et dans quelles conditions. Côté patronal, c’est l’occasion d’avancer des revendications classiques. Les augmentations, oui… mais en échange d’une défiscalisation des heures supplémentaires, argumente ainsi la CPME. De son côté, le Medef en profite pour tacler l’État, lui enjoignant « de montrer l’exemple » en augmentant la rémunération des personnels les plus mal lotis et en revoyant à la hausse ses appels d’offres (pour des services de gardiennage ou de nettoyage sous-traités au privé, notamment).

 

La question du « partage de la valeur »

Les syndicats estiment que la branche est l’échelon le plus pertinent pour négocier ces augmentations afin d’engager une dynamique d’ensemble. Mais leur espoir risque d’être déçu. Dans la propreté, secteur de « première ligne », le sujet est déjà clos. « Les seules négociations sur les salaires de branche, en juin et juillet 2021, portaient sur la grille des salaires 2022, la prime annuelle et les indemnités de transport. Il n’y a pas d’autres négociations sur les rémunérations à l’agenda social de la branche en 2021 », prévient Philippe Jouanny, président de la Fédération des entreprises de propreté (FEP). Du côté des transports, autre secteur particulièrement mobilisé pendant la crise sanitaire, le scénario reste à écrire. « La branche a engagé un travail avec l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur l’attractivité des métiers, relève Maxime Dumont, vice-président de la Fédération générale des transports CFTC. Ce qui nous conduit à évoquer les classifications sur plusieurs branches et bien entendu la rémunération. » Si aucune augmentation précise n’est encore à l’ordre du jour, Maxime Dumont s’attend à ce qu’elle « se fasse sur 12 mois pleins sans attendre l’extension de l’accord ».

Comment va réagir le gouvernement, porteur d’une politique affirmée de réduction du coût du travail et d’une réforme de l’assurance chômage censée inciter les demandeurs d’emploi à retourner sur le marché ? La ministre du Travail s’est invitée début septembre dans le débat en déclarant tout de go que les rémunérations dans certains secteurs, comme l’hôtellerie-restauration, n’étaient « pas à la hauteur »… Rappelant que ces employeurs avaient été « massivement aidés pendant la crise », elle a aussi relevé que « les marges des entreprises ont très fortement progressé au premier et au deuxième trimestre ». Un élément qui, à ses yeux, « pose effectivement la question du partage de la valeur entre l’entreprise et les salariés ». Au-delà du constat, Élisabeth Borne a invité les employeurs à « mettre des propositions sur la table ». S’inscrivant dans l’orientation initiale du quinquennat, la ministre du Travail semble vouloir laisser toute sa place à un dialogue social sans intermédiaire, sans cadre contraignant… ni mesures incitatives. Ce qui induit un nouveau casse-tête : cette injonction à l’augmentation salariale bouscule en effet les négociations déjà engagées par les branches regroupant les activités « de deuxième ligne », qui, à la suite du rapport Ehrel/Moreau-Follenfant, avaient commencé à travailler sur la revalorisation de ces emplois par d’autres biais que les salaires. Autant dire que les agendas vont devoir être revus.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins et Benjamin d’Alguerre