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Un an de négociation collective "en mode Covid"

Le point sur | publié le : 06.09.2021 | Benjamin d’Alguerre

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Dialogue social : Un an de négociation collective en mode Covid

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Quelque 76 650 accords d’entreprise et 950 de branche : 2020 n’a pas été l’année blanche redoutée en matière de dialogue social. Portée notamment par les thématiques de crise comme le télétravail, la négociation collective – souvent réalisée en visioconférence – a été riche. Certains soupçons sur la finalité de ces accords risquent cependant d’entacher le retour à un dialogue social classique.

Entre le mouvement social de 2019 contre la réforme des retraites qui semblait bien parti pour se prolonger et l’irruption de la pandémie de Covid-19, accompagnée de son cortège de confinements, de fermetures administratives, de séquences de télétravail forcé et de ralentissement général de l’activité des entreprises, 2020 ne s’annonçait pas comme une année marquante pour le dialogue social. La réalité, pourtant, devait faire mentir les Cassandre. « Alors que l’on pouvait craindre que la crise sanitaire entraîne un confinement du dialogue social, c’est tout le contraire que nous avons observé », relève Pierre Ramain, directeur général du travail (DGT) dans la préface du bilan annuel de la négociation collective 2020, paru en juillet dernier.

 

1 980 accords télétravail

Les partenaires sociaux sont ainsi passés à la vitesse supérieure. L’année a même été marquée par des moments forts sur le plan de la négociation sociale, à l’image des deux ANI télétravail et santé au travail (et même trois, si l’on compte celui sur l’encadrement du 28 février 2020, mais dont les négociations avaient débuté en 2017) et de l’accord activité partielle longue durée (APLD) de la métallurgie, dont le principe a été repris par la suite dans la loi de juin 2020 relative à la crise sanitaire. Dans les entreprises et les branches, les partenaires sociaux n’ont pas non plus chômé. Avec 76 650 accords et avenants d’entreprise conclus (et 93 500 si l’on compte l’ensemble des textes, conventions collectives, accords interprofessionnels, interbranches ou accords territoriaux), 2020 se classe certes derrière 2019 (un peu plus de 80 780 accords), mais devant 2018 (67 500 accords). Principaux thèmes abordés par ces accords : la participation, l’épargne salariale et l’intéressement (45 %), le temps de travail (24 %) et les salaires, primes et classifications (20 %). Sans surprise, la négociation d’entreprise s’est adaptée à la crise : sur les 3 810 accords d’entreprise consacrés aux conditions de travail, 1 980 abordaient le thème du télétravail et 1 000 celui du droit à la déconnexion. Quant aux nouvelles dispositions du dialogue social, nées des ordonnances Travail de 2017, elles poursuivent leur chemin malgré la crise. Ainsi, si le nombre de textes négociés avec les délégués syndicaux, élus et salariés mandatés se taille toujours la part du lion (55 700), le nombre de textes approuvés par consultation directe des salariés augmente (23 240 en 2020 contre 22 370 en 2019), tandis que ceux signés par le seul employeur reculent (17 040 en 2020 contre 19 090 en 2019). « La possibilité offerte par les ordonnances Travail de conclure un accord par ratification des deux tiers des salariés dans les entreprises dont l’effectif est inférieur à 11 salariés (ainsi que dans les entreprises de 11 à 20 salariés en l’absence de délégué syndical et de membre élu de la délégation du personnel du comité social et économique) favorise le développement du dialogue social formel dans ces entreprises », se félicite-t-on à l’U2P.

 

Près de 950 accords de branches

Côté branches, si le nombre symbolique des 1 000 accords n’a pas été atteint en 2020 (contrairement à 2019, où on en recensait 1 227), on en comptait tout de même près de 950. Si les questions salariales demeurent le thème le plus abordé (279 textes), la production d’accords a connu une baisse de 38 % par rapport à l’année précédente, selon les calculs de FO. Tendance inverse en revanche pour la problématique du temps de travail qui, pandémie oblige, fait une percée remarquable dans la négociation collective, avec 108 accords contre 39 en 2019. D’autres sujets d’actualité expliquent aussi la bonne santé de certains thèmes de négociation. C’est le cas de l’égalité salariale hommes-femmes (174 textes), portée par l’application de l’index de l’égalité en 2019, ou de la formation professionnelle, où une large part des 180 accords conclus visait à mettre en place dans les branches le dispositif de promotion ou de reconversion par l’alternance (« Pro-A »), né de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018.

Quid, cependant, des conditions de la négociation, réalisée le plus souvent à distance et dans l’urgence, et de la qualité des accords ? Du côté des syndicats, on pointe du doigt des négociations en tout distanciel qui ont non seulement nui au dynamisme et à la fluidité du dialogue social, mais ont surtout donné un net avantage à la partie patronale. « Là où le dialogue social existait et était de qualité, ses acteurs ont su rapidement s’adapter aux nouvelles contraintes, notamment par la mise en place de plans de continuité d’activité. Pour les autres, les solutions apportées par le seul employeur n’ont pas répondu aux attentes des salariés. Un quart d’entre eux estime que leur employeur n’a pas su prendre les bonnes mesures face à cette crise », souligne ainsi la CFDT.

 

Hyper-centralisation

Et ce dialogue social en demi-teinte dénoncé par les représentants des salariés s’est aussi, selon eux, accompagné dans les entreprises d’une hyper-centralisation de la négociation collective, désormais entre les mains des seuls CSE centraux (CSEC), ce qui crée de facto une certaine déconnexion entre les instances du siège et les salariés des établissements décentralisés. « L’essentiel des discussions a porté sur les sujets économiques au détriment des questions de santé au travail. Un comble en période de pandémie ! », tonne ainsi un ancien négociateur FO. Même tonalité du côté de la CGT, au point que face à la minoration des sujets sanitaires abordés dans les comités sociaux et économiques, la centrale de Montreuil réclame « le rétablissement des CHSCT avec des prérogatives renforcées ».

Mais le principal point de crispation syndical sur cette négociation de crise vient des accords de performance collective (APC). Au cours de l’année écoulée, une centaine ont été négociés et conclus dans les entreprises… parfois dans un contexte d’opacité tel que les représentants des salariés n’hésitent pas à parler de « déloyauté patronale ». La CFDT dénonce notamment un dévoiement de ces accords sous couvert d’urgence sanitaire. « L’année 2020 et la crise sanitaire auront apporté de nouveaux détournements de ces accords. Notamment par l’attitude de certains employeurs qui n’annonçaient qu’à la fin des négociations qu’il s’agissait d’un APC, mais aussi sur le nombre non négligeable d’APC qui ont débordé de leur champ de compétences. Les accords deviennent des “conventions collectives d’entreprise” dans ce cas, primant sur les contrats de travail et la convention collective de branche, dans le sillage du flou entretenu par certains employeurs sur les accords APC ou APLD auxquels ils voulaient aboutir. Parfois, ces accords sont même combinatoires de ces deux dispositifs », tempête le syndicat réformiste qui n’hésite pas à demander la circonscription de l’application de ces accords à une validation préalable par les Dreet (les ex-Direccte). « Il est fort probable que le recours aux APC va encore s’accentuer. Ces accords, qui peuvent affecter la rémunération, l’organisation du temps de travail et sa durée, ainsi que la mobilité géographique ou professionnelle, ne prévoient aucun garde-fou ni contreparties – obligatoires dans la loi, telles que la clause de retour à meilleure fortune ou la garantie d’emploi. Il est nécessaire de sécuriser les droits des salariés dans ce dispositif en faisant évoluer ce cadre légal afin qu’il soit plus protecteur », abonde-t-on à la CFTC. Reste à savoir si ce climat de défiance va se poursuivre lors du retour à une négociation « normale » (la CFE-CGC demande ainsi a minima le maintien du présentiel lors des réunions plénières), surtout à l’heure où les partenaires sociaux sont susceptibles de relancer les discussions sur la restructuration des branches, totalement passée à la trappe lors de la séquence Covid.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre