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Le grand entretien

« Il faut répondre par la fermeté et la pédagogie aux comportements inacceptables »

Le grand entretien | publié le : 06.09.2021 | Irène Lopez

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« Il faut répondre par la fermeté et la pédagogie aux comportements inacceptables »

Crédit photo Irène Lopez

Que faire lorsqu’un salarié refuse de serrer la main d’une femme pour des motifs religieux ? Quelle attitude adopter lorsque des collaborateurs transforment un local en lieu de prière ? Le manager est souvent démuni. L’entrisme islamique – qui n’est le fait que de 10 % des musulmans en entreprise, il faut le rappeler – le met face à ses responsabilités en matière de compétitivité et d’attractivité de l’employeur. Auteur de l’ouvrage Le tabou de l’entrisme islamique en entreprise, le coach Adel Paul Boulad incite les dirigeants et les managers à sortir du déni et à oser agir.

Qu’est-ce que l’entrisme islamique ?

Il s’agit d’un mécanisme complet qui aboutit, en entreprise, à l’application des valeurs islamiques et à des plannings de travail alignés sur le calendrier lunaire islamique. Je précise qu’en soi, l’islam n’est pas une menace. C’est son application dans la vie quotidienne sociétale et publique par certains extrémistes qui pourrait l’être. Je veux également être clair sur le sujet de la diversité qui peut être brandi dès que l’on parle de différences. Dans tout projet collectif – en entreprise, en association ou en sport –, la diversité est un atout. C’est un levier éprouvé et vital pour la créativité, l’innovation et, par conséquent, la performance. Elle l’est aussi pour la diminution des risques stratégiques et opérationnels. Mais, dans cette perspective de réussite avec et par le collectif, le développement de la diversité ne doit pas être aveugle : favoriser la diversité ne signifie pas ouvrir le chemin pour qu’une idéologie exogène à l’entreprise s’impose au collectif !

Le positionnement religieux des musulmans en entreprise est-il étudié ?

Il l’a été en 2013 par l’Institut Harris Interactive et en 2019 par l’Institut Montaigne. Leurs analyses mettent en avant trois profils : le musulman libéral, qui représente 45 % des effectifs. C’est celui qui vit sa foi en privé. Il ne veut pas entendre parler de religion au travail et ne revendique rien en tant que musulman. Le musulman communautaire (40 %) est celui qui affirme à chaque occasion : « Je prends du poisson parce que la viande n’est pas halal. » Il est souvent né en France, de parents nés en France, mais il s’efforce de se distinguer, de marquer sa différence. Enfin, le musulman militant et prosélyte (15 %) est celui qui se montre et s’affirme musulman par son comportement : barbe, voile, vêtements amples, objets et affiches islamiques dans le bureau. Il porte un projet politique de l’islam dans les sphères publique et privée. Et, en intégrant les syndicats et les CSE, il négocie avec la direction de l’entreprise.

Quelles peuvent être les conséquences de l’entrisme islamique dans l’entreprise ?

Les équipes et les managers peuvent être amenés à modifier les plannings et les horaires – pour permettre les prières ou accorder des vacances religieuses – au détriment de la productivité. Ils peuvent également, par exemple, renoncer à nommer une femme manager aux dépens de la motivation et de la réussite de l’entreprise, ou réduire, voire bannir la mixité aux dépens de la créativité et de l’innovation… Concrètement, ce sont aussi des robinets de sanitaires tordus pour remplir des bouteilles destinées aux ablutions ou un espace commun discrètement détourné à des fins de prière, jusqu’à dissuader les autres employés de l’utiliser pour le stockage, sa vocation initiale.

Une autre conséquence peut être une mobilisation inutile de la force de production. J’ai le souvenir d’une PME de la région Auvergne-Rhône-Alpes qui faisait face à une pression de plus en plus forte dans ce domaine. Le débat du comité de direction portait en particulier sur les toilettes : « Fallait-il des toilettes à la turque ? » La question en a engendré bien d’autres. Quel coût pour les travaux ? Faut-il des mètres carrés supplémentaires ? Qui va discuter et débattre de ce sujet et combien de temps cela va prendre ? Quelle image cela va-t-il générer en interne, en externe ? Quel impact sur le climat social, sur la qualité de la relation entre les salariés ? Quel impact sur le fonctionnement du collectif et en conséquence sur la productivité ? Bref, dans la PME, les « communautarisés » (10 % des salariés) ont mobilisé le management (10 % du personnel) avec cette question. Au total, 20 % de la force de production étaient en stand-by sur le sujet des toilettes à la turque !

Le coût économique de telles pratiques religieuses peut-il être la meilleure sensibilisation ?

Je ne sais pas si c’est la meilleure, mais cela en est une. Tout le monde connaît le coût de la pause cigarette. Caroline Diard, chercheuse en management des RH et droit, l’a calculé pour la SNCF (260 000 salariés). En se basant sur un temps moyen de pause de six minutes par cigarette fumée, de cinq cigarettes par jour et de 26 % de fumeurs, la facture s’élève à… 30 minutes improductives par jour et par salarié. Si on multiplie par 67 600 fumeurs et un taux horaire moyen… le coût de la pause cigarette avoisine un coût pour l’entreprise de 180 millions d’euros par an !

Quelle solution proposez-vous lorsque certains musulmans militants refusent la mixité en entreprise ?

J’ai constaté que les rapports hommes-femmes se dégradaient dans les entreprises. Refus de salut, refus de relayer une femme à un poste de conducteur dans un bus, demande de mutation dans une équipe sans femme… Beaucoup de chefs d’entreprise baissent les bras en disant : « C’est comme ça, on n’y peut rien ». Des féministes jettent également l’éponge, préférant batailler sur le terrain de l’égalité des salaires. J’encourage les dirigeants et les managers à s’exprimer avec fermeté et pédagogie dès qu’ils constatent un comportement inacceptable. Des études de cas, des mises en situations à travers des jeux de rôles animés par des coachs experts aident à détecter le comportement inadéquat et à apprendre l’attitude à avoir.

Le courage ne se décrète pas. Il se crée par le dirigeant ou le manager dans un cadre opérationnel de discernement et d’humanité. Idem pour le cas du manager qui ne souhaite pas s’opposer à des musulmans militants par peur de déclencher une manifestation sur le parking de la société, par exemple. Le courage n’est ni aveugle ni suicidaire. Au contraire, le courage est lucide et créateur. Outre l’entraînement avec d’autres managers, qualifier l’impact du laisser-faire en termes économiques et RH peut mener à affirmer sa position.

Comment détecter les militants islamistes au cours d’un entretien d’embauche ?

Je conseille de choisir les trois à cinq personnes qui procéderont aux interviews des candidats, avec notamment deux femmes. Ces dernières pourront faire un jeu de rôle avec le candidat en le positionnant comme leur chef de service. Il suffira de bien observer la réaction instantanée du candidat à cette idée. Un intervieweur pourra prendre le rôle inverse avec une candidate, en jouant le rôle d’un subordonné. Contrairement à un musulman libéral, un militant ou une militante islamiste a un refus profond de la mixité. Le jeu de rôles avec une mise en situation de subordination accentue le rejet et le rend visible ou tout du moins perceptible.

En outre, l’examen du CV pourra donner l’occasion de qualifier l’intérêt de la personne, sur le sujet de l’expression musicale ou du chant, entre autres. En effet, un musulman radical ne s’exhibera jamais en chantant ou en jouant de la musique. Le CV pourra permettre de voir les tendances artistiques si elles sont mentionnées.

Le télétravail et l’arrêt du présentiel provoqués par la Covid-19 peuvent-ils rebattre les cartes ?

Ce que les managers et les DRH n’ont pas su, n’ont pas voulu, n’ont pas pu faire durant ces dix dernières années, la Covid-19 l’a fait en quelques jours. Elle a confiné dans la sphère privée l’application des obligations islamiques. L’opportunité est là, maintenant, pour ceux qui hésitent.

Les managers et DRH pourront aussi surmonter leur peur de promouvoir une femme à un poste de manager. En effet, les bureaux qu’ils avaient laissés se communautariser seront redistribués du fait de la distanciation sanitaire. Cela réduira la pression sur la direction en termes de refus de mixité et de barrage à toute promotion féminine. Les femmes n’auront plus à se soumettre lorsqu’un militant refusera de les saluer. En effet, avec la distanciation sanitaire, tous les salariés seront logés à la même enseigne, hommes et femmes.

Mais l’islam militant en entreprise ne s’arrêtera pas à la Covid-19. Ses dogmes opérationnels ont survécu à quatorze siècles de guerres et d’épidémies. Ils dépasseront le répit actuel pour reprendre du service dans le nouveau contexte si les failles managériales persistent.

Parcours

Docteur en sciences physiques, Adel Paul Boulad mène une carrière de chercheur et enseignant de 1973 à 1979, puis il dirige des équipes de toutes nationalités dans le secteur de la haute technologie chez Digital, Compaq et Cisco Systems. Il se forme au management, au leadership, au coaching, à la dynamique de groupe (Palo Alto et Insead). En 2001, il fonde sa propre structure, PLI (Performance &Leadership Institute) et coache des dirigeants internationaux. Franco-égyptien d’origine syrienne, Adel Paul Boulad a une connaissance approfondie de l’islam et de l’entreprise. Sa démarche s’est développée dans des cas concrets en France et en Égypte. Il est l’auteur de Le Tabou de l’entrisme islamique en entreprise. Guide du manager (VA Éditions, 2021).

Auteur

  • Irène Lopez