Au cours de la crise de la Covid-19, le manager de proximité aura tout assuré : le maintien du lien entre la direction et les salariés, la continuité de l’activité et même le rôle d’assistante sociale auprès de ses collaborateurs isolés et inquiets de la situation sanitaire. Reste maintenant à bien dimensionner son poste et à le reconnaître…
Des produits mal entreposés, une multitude de sous-chefs, des managers de proximité qui encadrent plus de 80 personnes… Lorsque François Le Joncour, aujourd’hui directeur supply chain du groupe Solo (spécialiste du textile d’image), prend les commandes de la logistique chez un fabricant de sous-vêtements féminins, le taux de service total de la chaîne ne s’élève qu’à 65 %. À l’époque, la mission qu’il a acceptée est de remettre de l’ordre dans la logistique. Celui qui manage des équipes depuis vingt-cinq ans commence par recréer un périmètre cohérent autour du manager de proximité. Pour cela, il s’inspire de l’armée romaine… « Un centurion n’encadrait que 20 personnes. C’est le nombre idéal qui doit être rattaché à un chef. Et c’est ce que l’on trouve dans la plupart des sites industriels. Encadrer 80 personnes lorsqu’on est manager de proximité n’a aucun sens. Il doit être à la tête d’une équipe dimensionnée. Pour cela, il faut découper l’activité. Si l’équipe est trop petite ou trop grande, cela ne fonctionnera pas », dit-il.
Dans le cas de l’entreprise de fabrication de sous-vêtements à rendre plus performante, le responsable transférait les consignes à son bras droit qui lui-même les transmettait à une autre personne. Bref, tout le niveau de responsabilité descendait d’un cran. Le directeur de la supply chain explicite : « Si le patron du site réalise le travail d’un exploitant de secteur, et ce dernier celui du chef d’équipe… rien ne va plus. » Lorsqu’il quitte l’entreprise de lingerie, après avoir mis en place un management de proximité, le taux de service total de la chaîne s’élève à plus de 94 %.
La clé de ce miracle ? « J’ai essayé de porter attention aux managers de proximité car, sans eux, rien ne se fait. Ce sont eux qui résolvent les problèmes au plus près de leurs conséquences », souligne François Le Joncour. Il décrit le manager de proximité comme le rouage essentiel opérationnel.
La notion de rôle central du manager de proximité est apparue dans les années 1980. C’est le groupe de conseil Creci (Centre de recherche sur le comportement individuel) qui en est à l’origine et a « implanté » ce concept au sein de toute la galaxie Mulliez (Auchan, Saint-Maclou, Kiabi…). Gérard Mulliez, le patriarche, avait coutume de dire : « Ce qui m’importe, c’est le responsable de rayon, le reste, je m’en fiche. » Les managers de proximité sont à l’intersection de deux mondes qui cohabitent : la direction et les salariés. Ils sont récepteurs des indications qui descendent de la direction et constituent le premier maillon opérationnel.
« C’est un poste très difficile, confie Arnaud Dubost, créateur de dispositifs de formation au sein du cabinet Managere associés. Nous accompagnons un grand groupe bancaire. Le poste de directeur d’agence, qui est un manager de proximité, est le poste le plus dur qui soit dans une banque. Il est le garant de la réalisation des objectifs. Il encadre du personnel pas ou insuffisamment formé. Il est jugé sur la satisfaction des clients. Il doit connaître toutes les contraintes réglementaires inhérentes au secteur. Bien souvent, il est occupé à assister à des réunions de travail où sont déclinées les stratégies de la banque car c’est lui qui servira d’interface entre la direction et les salariés. En conséquence, le temps consacré au management de son équipe est de plus en plus réduit. » Un tableau effroyable. Heureusement, il existe des formations pour rendre le poste plus efficace…
« On peut être un excellent expert mais pas un bon manager ! », relève de son côté Hugo Manoukian, cofondateur et CEO de Moov One, une solution digitale de coaching. Aujourd’hui, salariés et collaborateurs expriment des souhaits précis. Ils attendent du manager de proximité qu’il soit un coach, comme dans le monde sportif. Le manager entraîneur doit pouvoir les pousser à donner le meilleur d’eux-mêmes. Les salariés souhaitent également avoir un encadrant inclusif. Le modèle « Je ne veux plus voir une tête qui dépasse » est bien fini. Il doit pouvoir apporter une vraie diversité (de genre, d’origine…) à son équipe. Une autre qualité requise pour le manager de proximité est l’authenticité. Hugo Manoukian l’assure : « Les collaborateurs en ont assez des faux-semblants et de l’hypocrisie. » Mais comment se former à être authentique ? « Il faut bien se connaître, répond-il. Il faut détecter et ajuster ses émotions. Cela s’apprend. Comme les réponses sont en chacun de nous et qu’il ne suffit pas d’intellectualiser des situations mais de les vivre dans ses tripes, nous avons créé une formation à travers des mises en situation d’une heure. Tous les quinze jours, nous faisons le point sur les cas expérimentés dans la vie personnelle et professionnelle. » Moov One a ainsi formé 10 000 managers ces six dernières années.
Pour Jean-Christophe Décla, cofondateur et directeur associé du cabinet de formation Kenaa, qui a travaillé pendant quinze ans dans le monde du retail – de manager de proximité au poste de directeur régional, sa carrière a pour fil rouge le management et il a également été responsable de la formation chez Decathlon –, « le succès des enseignes Leroy Merlin et Decathlon repose, en grande partie, sur leurs managers de proximité. Ils y sont écoutés et ils peuvent prendre des décisions. Dans ces deux enseignes, on attend d’un manager de proximité qu’il pratique le métier de patron. C’est à lui de recruter les membres de son équipe, de prendre les bonnes décisions, d’être responsable de l’entretien annuel de ses collaborateurs et de leur augmentation. » La notion de responsabilisation fait partie de la culture du géant du sport. Le manager de proximité dispose d’un cadre précis et, dans celui-ci, il a toute latitude pour expérimenter. Chez Leroy Merlin, la responsabilisation frise l’indépendance. Ainsi, pointe Jean-Christophe Décla, « un manager a refusé d’utiliser un logiciel que la direction informatique avait développé pour tous les magasins. Il trouvait que le logiciel ne répondait pas aux besoins de son service… » Ces deux entreprises ont des résultats enviables. Plus de 500 millions d’euros de résultat net pour Decathlon en 2020 et près de 270 millions d’euros de résultat net en 2019 pour Leroy Merlin.
« Ces bons résultats vont perdurer. En interne, les collaborateurs, et en particulier les managers de proximité, savent qu’ils ont droit à l’erreur. Ils peuvent tester leurs idées. Et c’est ce qu’on attend d’eux ! », conclut-il.