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« Le G.I. Joe de la crise »

Le point sur | publié le : 30.08.2021 | Irène Lopez

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« Le G.I. Joe de la crise »

Crédit photo Irène Lopez

Sociologue des organisations et consultant pour dirigeants, François Dupuy a mené une enquête auprès de 500 salariés dans neuf organisations. D’avril à septembre 2020, en pleine crise sanitaire, à travers des entretiens, il a étudié l’organisation du travail. Parmi les principaux enseignements de son étude, rapprochement avec les troupes et désobéissance organisationnelle…

Qui a géré concrètement la crise de la Covid-19 ?

La gestion de la crise sanitaire était un face-à-face entre deux acteurs : les PDG et les managers de proximité. Les premiers ont été chargés de mettre en place les mesures gouvernementales changeantes. En outre, ils ont fait jouer leurs relations pour obtenir des masques qui manquaient cruellement au début de la crise. Bref, ils ont joué un rôle capital, plébiscité par 9 syndicalistes sur 10, de SUD à la CFTC. Si j’approfondis l’analyse, c’est grâce aux seconds que l’activité de l’entreprise a pu continuer. C’est l’encadrement de proximité qui a assuré la continuité entre les salariés physiquement présents et d’autres en télétravail.

Comment ont-ils assuré la continuité de l’activité alors que les procédures étaient plus que contraignantes ?

Les procédures et les normes étaient effectivement nombreuses. En les respectant à la lettre, l’activité pouvait être compromise. Ils ont été obligés de pratiquer à grande échelle la désobéissance organisationnelle, autrement dit, la non-application de directives. Ils ont pris une forme de pouvoir.

Prenons l’exemple d’un groupe de distribution de courrier. Les encadrants de proximité ont dû se procurer des masques, du gel hydroalcoolique et toute autre protection pour distribuer le courrier. Ces dépenses ont été faites à titre personnel – ce qui est strictement interdit. Les services centralisés ont ensuite régularisé la situation en remboursant les frais avancés mais, au départ, rien ne le prévoyait…

Cette désobéissance (ou achat de matériel sur leurs propres deniers) ne pouvait être menée que par les managers de proximité. Eux seuls se rendaient compte de la réalité du terrain.

La prise de pouvoir des managers de proximité peut-elle nuire à leur N+1 ?

L’encadrement intermédiaire a montré ses limites. En tant qu’accompagnateurs, ils ont instauré leurs propres réunions en visioconférence avec les équipes, encadrées par un manager de proximité. Ces équipes, à l’unanimité, ont dit : « Stop ». Ces visioconférences sont trop nombreuses et ne servent à rien : « On échange avec notre contremaître, c’est tout. » À quoi servent alors les managers intermédiaires ? Telle est la question que nous sommes en droit de nous poser. Les salariés ont conquis leur propre autonomie.

Les managers de proximité vont-ils être reconnus à leur juste valeur ?

Si vous faites allusion à une revalorisation des salaires, la réponse est non à court terme. Les augmenter reviendrait à changer les grilles de salaires. Cela prendra du temps pour que la reconnaissance s’affiche sur les feuilles de paie. Ce qu’ils ont reçu, c’est la reconnaissance de la confiance. Cela fait des années que, dans les entreprises, le mot confiance est utilisé. Pendant la crise, la direction a vraiment fait confiance. Tout d’abord aux managers de proximité. Ensuite, ce sont les managers de proximité qui ont fait confiance à leurs propres troupes. Cette confiance les a encore plus rapprochés. Les chefs d’équipe disaient : « On se serre les coudes car on est dans le même bateau. »

À qui vous font penser les managers de proximité ?

Pour analyser leur rôle prépondérant, je vais faire une comparaison avec la guerre. En temps de paix, ce sont les officiers, qui portent beau, qui paradent sur les chars. En temps de guerre, ce sont les sergent-chefs, les G.I. Joe pour reprendre le terme nord-américain, qui sont dans la lumière. Regardez les films de guerre, ce sont eux les héros sur lesquels reposent les actions. C’est vrai pour la Seconde Guerre mondiale comme pour la guerre du Vietnam. Ce sont eux les encadrants de proximité !

À quelle situation immédiate les RH vont-elles être confrontées ?

Aujourd’hui, dans les accords de télétravail en cours de négociation, les managers, et en particulier ceux de proximité, en face des RH, savent de quoi ils parlent, expérience tirée de la crise de la Covid-19 oblige. Les négociations ont davantage de contenu.

Auteur

  • Irène Lopez