L’année 2020 aura été un laboratoire inédit de l’explosion du télétravail, bien que soudain et parfois exercé dans de mauvaises conditions. Cette expérience aura levé les préjugés, mais aussi mis en lumière ses limites. Mais « il faut rester prudent sur les enseignements à tirer sur l’avenir », les aspects positifs ou négatifs « étant exacerbés par l’anxiété de la crise sanitaire ». Le télétravail forcé n’a rien à voir avec un dispositif « choisi, anticipé », rappelle Suzy Canivenc, enseignante en communication et en management à l’école des Mines, dans ce livre écrit avec la journaliste Marie-Laure Cahier. Au sortir de la crise, toutes les entreprises ne joueront peut-être pas le jeu de prolonger l’expérience, « surtout si le contexte économique se tend ». Mais ce livre les invite à le faire, défendant l’avenir vers un « travail hybride », aspiration de nombreux salariés. À partir d’études, d’interviews de sociologues, d’entreprises (Orange, Renault) ou de dirigeants dans l’industrie de la « tech », la chercheuse part du bilan de cette année de confinement pour ouvrir des pistes de réflexion. Et interroge les conditions d’une « démocratisation possible » du télétravail. Ce dispositif doit être « socialement responsable », équitable et accompagné pour être « réellement bénéfique sur le plan social », insiste-t-elle.

Comment les salariés et les managers ont-ils vécu cette année singulière ? Qu’en est-il de la productivité des télétravailleurs ? Des inégalités ? Du lien social ? Les outils numériques ont-ils des effets trop anxiogènes ? Dans ce tour d’horizon exhaustif, l’enseignante livre un éclairage intéressant, sans occulter les débats qui fâchent : tentation mal venue de surveiller l’activité des salariés (contrôle des heures de connexion, voire de l’historique des visioconférences), risque d’exclusion des augmentations salariales, voire de passage à la sous-traitance, d’où l’importance d’un accord télétravail négocié avec les syndicats. Suzy Canivenc s’attarde « sur la grande difficulté » des cadres à gérer leurs équipes à distance : leur apprendre à manager autrement, à fixer des objectifs tenables, à entretenir un lien de reconnaissance « sera probablement le défi le plus difficile qui attend les entreprises ». Autre enjeu épineux pour les DRH : l’élargissement du télétravail à d’autres employés, dont la présence totale a été trop vite jugée indispensable selon elle. Pour y arriver, « nombre de rapports ou d’institutions mettent désormais l’accent sur une analyse par tâches et des activités », et non plus par poste. Un travail de dentelle, mais surtout de « volonté » de la part des dirigeants (les freins culturels restent « à lever ») que cet ouvrage honnête permet d’appréhender.