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Le grand entretien

« La loi de 1971 a favorisé les stages de plus en plus courts »

Le grand entretien | publié le : 12.07.2021 | Benjamin d’Alguerre

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« La loi de 1971 a favorisé les stages de plus en plus courts »

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

La loi sur la formation professionnelle de 1971 aura cinquante ans le 16 juillet prochain. Elle instituait le droit au congé formation, obligeait les entreprises à une participation financière et inscrivait la formation professionnelle dans le Code du travail. Mais, un demi-siècle plus tard, qu’en est-il des ambitions de promotion sociale qui animaient le texte fondateur ?

Dans quel contexte est née la « loi Delors » ?

Cette loi est née dans une période de grande confiance en une économie pourvoyeuse d’emplois, de richesses disponibles pour les loisirs et la culture, et d’insouciantes espérances en un avenir confortable. La fin de ce cycle rabote sa générosité qui ouvrait des perspectives de formation multiples, culturelles, promotionnelles, et pas seulement professionnelles, en particulier en ouvrant grande la porte de l’initiative individuelle et en instaurant une obligation financière sans affectation précisée.

Quelles évolutions majeures a connu la formation depuis ?

C’est d’abord, pour les pouvoirs publics, dès 1976, l’inscription de la formation dans la politique de l’emploi. L’éducation permanente est vite oubliée. La formation professionnelle prend l’ascendant sur la formation promotionnelle. Insertion, employabilité, alternance s’invitent au lexique. C’est ensuite, par étapes, la clarification de l’initiative du départ et des financements : distinction juridique entre plan de formation, initiative de l’employeur, et congé individuel de formation, initiative du salarié, puis distinction de leurs financements. La porte de l’initiative individuelle est désormais entrebâillée.

Qu’a apporté la réforme de 1984 ?

La carte redessinée en 1984 permet aux employeurs une utilisation majoritairement managériale d’une formation de plus en plus nécessaire alors pour accompagner les importantes évolutions technologiques de la période et les redoutables enjeux de compétitivité. Compétence, formation-action s’invitent au lexique. C’est ensuite à propos du couple obligation-formation que des changements réglementaires signifiants sont observés. Alors que la loi de 1971 instaurait une obligation financière mais pas d’obligation de former, une loi en 2004 oblige l’employeur à former : « obligation d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail […] au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations ». En 2016, l’obligation financière, apport cardinal de la loi de 1971, est levée. Le législateur a pris la mesure du temps : devenue nécessité bien comprise par les entreprises pour s’assurer des compétences utiles à leur compétitivité, et des individus pour gagner et conserver un emploi, la formation n’a plus besoin d’obligations formelles. Enfin, la loi de septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, après d’autres lois depuis les années 2000, a sensiblement redessiné le paysage, essentiellement en simplifiant l’architecture des financements, redessinant une cartographie des opérateurs financiers, redéfinissant tous les dispositifs et leurs finalités, réunis désormais sous l’intitulé unique formation professionnelle.

Qu’en est-il aujourd’hui des aspirations de promotion sociale des salariés que portait la loi fondatrice ?

Avant 1971, la loi sur la promotion sociale de 1959, dite loi Debré, avait placé la formation promotionnelle au centre des dispositifs juridiques. La majorité des Français et Françaises avaient alors pour bagage le certificat d’études primaire ou le CAP, 15 % d’une classe d’âge était bachelière, et la croissance économique – l’expansion était le terme de l’époque – requérait qualifications supérieures, techniciens, ingénieurs. Les cours du soir, au Cnam ou ailleurs, également dans les très grandes entreprises, en étaient les principaux vecteurs.

Ceux qui ont pensé qu’avec la loi de 1971 les cours du soir allaient devenir les cours du jour se sont trompés. La loi a favorisé les stages, de plus en plus courts d’ailleurs. Le CIF qui permettait des cursus longs – une année à temps plein, 1 300 heures à temps partiel, voire plus – a, comme écrit plus haut, très vite été marginalisé. Les cours du soir, discrets, continuent d’être populaires, nombre de chômeurs se réinscrivent à l’université (10 à 15 % de la population étudiante sont des adultes en reprise d’études).

Les deux nouveaux droits qui apparaissent dans le Code du travail, tous deux périphériques à la formation elle-même sont en 1991 le droit au bilan de compétences, et en 2002 la validation des acquis de l’expérience (VAE). Ce sont des supports à des projets de formation conséquents. Mais la disparition du CIF en 2018 au profit du compte personnel de formation (CPF) ne va pas dans le sens d’une faveur aux formations longues, même si, couplé avec une VAE, des sauts de qualification significatifs sont envisageables.

Que reste-t-il des ambitions d’éducation populaire de la loi de 1971 ?

L’éducation populaire, réseau très actif d’associations diverses, milite pour une éducation des adultes visant le développement culturel et le développement de la citoyenneté. Durant les années 1960, l’éducation populaire élargit son ambition avec le concept d’éducation permanente. Il ne signifie pas permanence de l’éducation mais construction d’un système cohérent fédérant toutes les composantes éducatives et formatives, à tous les âges de la vie. L’intitulé de la loi, formation professionnelle continue dans le cadre de l’éducation permanente, est dans ce contexte une formulation juste qui rend compte de cette nouvelle pensée.

Arrimer la formation professionnelle continue à l’éducation permanente est un pari de Jacques Delors qui avait été actif dans une importante association d’éducation populaire. Ce pari a échoué. L’éducation populaire, pourtant velléitaire, n’a pas réussi à faire valoir ce combat, faute de reconnaissance par les décideurs économiques. La formation dès 1971 a surtout été professionnelle, y compris via l’usage du CIF : des statistiques montrent que les demandes strictement culturelles représentaient 1 % des dossiers acceptés. En 2004, « éducation permanente » disparaît des intitulés législatifs au profit de « formation tout au long de la vie », changement de substantif… Et ce n’est pas que le militantisme sain de l’éducation populaire soit obsolète, à l’heure où les réseaux dits sociaux agissent comme on le sait…

Qu’en est-il de la place aujourd’hui des organisations syndicales ?

Dans l’après-mai 1968 et suite aux accords de Grenelle, Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre, cherche, avec son slogan Nouvelle société, à renouveler les relations sociales. Jacques Delors, qui a été syndicaliste, le convainc que la formation peut être un laboratoire. Politique contractuelle, concertation et paritarisme de gestion en sont les instruments. La politique contractuelle – la règle juridique est produite par accord pour devenir ensuite loi –, au motif que les acteurs de terrain savent, installe les organisations syndicales patronales et de salariés dans un rôle majeur, que la plupart jouent. Cette primauté de l’accord sur la loi a toujours eu lieu, à de rares exceptions près, depuis l’accord de 1970 qui a amené la loi de 1971. Rien n’indique qu’elle ne sera pas pérenne.

La concertation, obligatoire dans bien des occurrences, donne un crédit aux organisations syndicales, qui regrettent toutefois qu’il ne s’agisse que d’un avis à donner, qui sera suivi ou non. Le paritarisme de gestion – les organisations syndicales, via des organismes collecteurs, gèrent des fonds externalisés et décident de leur distribution – a suivi les multiples mutations de ce choix organisationnel, des fonds d’assurance formation (FAF) créés en 1968 aux opérateurs de compétences (Opco) créés en 2019. Décrié par certains qui voudraient le voir disparaître, ce contre-chant à une utilisation strictement managériale de l’argent de la formation est plus que jamais utile aux yeux d’autres. À suivre…

Parcours

Maître de conférences honoraire en sciences de l’éducation à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Yves Palazzeschi a créé et développé au sein de cette université une offre de formation de formateurs et conduit divers enseignements sur la formation (histoire, droit, institutions, sociologie, politiques, stratégies, ingénieries). Il a orienté ses travaux sur l’histoire de la formation postscolaire, plus particulièrement l’histoire contemporaine. Il est notamment l’auteur d’Introduction à une sociologie de la formation. Anthologie de textes français 1944-1994 (voL. 1 : Les pratiques constituantes et les modèles, voL. 2 : Les évolutions contemporaines, L’Harmattan, 1998).

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre