La fin de l’état d’urgence et la reprise de l’activité font craindre des tensions entre employeurs et salariés. Les premiers, en exigeant de leurs salariés qu’ils soient présents dans l’entreprise pour faire face à la reprise, les seconds, en posant des congés après des semaines de confinement et de restrictions de déplacement.
Pas de nuages en vue sur l’été 2021. « La fixation des congés payés se passe plutôt bien. Il peut y avoir des frictions, mais la fixation des jours de congé est, en général, consensuelle », estime déclare Laëtitia Ternisien, avocate au sein du cabinet Jeantet. Et ce, même avec la loi n° 2021-689 du 31 mai relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire qui prévoit l’instauration d’une période transitoire allant du 2 juin au 30 septembre 2021, pendant laquelle l’application de certaines mesures d’urgence notamment en matière de congés payés est maintenue. Sous réserve d’un accord d’entreprise ou de branche, l’employeur peut, en effet, de manière exceptionnelle imposer la prise de congés payés ou modifier les dates d’un congé déjà posé, dans la limite de huit jours ouvrables (au lieu de six jours), en respectant un préavis d’au moins un jour franc (au lieu d’un mois ou du délai prévu par un accord collectif). « Je n’imagine pas un employeur modifier les jours de congé posés par un salarié, même si l’entreprise doit faire face à une commande importante. Non seulement la reprise a été anticipée, mais ce serait très compliqué, sur le plan humain, de refuser ou modifier des congés. Les employés présentent une grande fatigue morale et une lassitude à la suite des contraintes imposées par la crise sanitaire », ajoute l’avocate spécialisée en droit du travail.
Catherine Pinchaut, secrétaire nationale de la CFDT, ne discerne pas de gros problèmes avec le début des congés d’été. Elle rappelle très fermement que « les salariés ne sont pas des tire-au-flanc ! ». Même si elle reconnaît, elle aussi, que l’état de fatigue est général et que tout le monde a besoin de se reposer. Les militants CFDT restent cependant extrêmement vigilants et ne s’interdisent pas de rappeler le bon sens – et le droit – à certains employeurs. Secrétaire confédéral Force ouvrière en charge de la formation professionnelle et de l’emploi, Michel Beaugas est, pour sa part, vent debout contre l’assouplissement des règles du Code du travail. Les syndicats FO ont fait savoir leur désaccord dans les entreprises où ils sont représentés. Force ouvrière n’a d’ailleurs pas signé l’accord qui permet aux employeurs d’imposer jusqu’à huit jours de congés payés. « Le vrai problème n’est pas tant les congés qu’un problème d’argent et plus précisément de trésorerie. Si les salariés prennent leurs jours de congé, ces derniers ne seront plus à provisionner et ne pèseront plus dans les comptes de la société. D’où l’empressement du gouvernement à autoriser les employeurs à imposer des congés », estime le dirigeant syndical.
Éric Chevée, vice-président de la CPME en charge des affaires sociales, confirme que l’application des dispositions légales relatives aux congés payés prises dans le cadre de la crise sanitaire ne pose pas de problème particulier sur le terrain. Mais quid à plus long terme, notamment pour les jours de congé accumulés par les salariés qui ont bénéficié du chômage partiel ? « Pour les DRH, souligne l’avocate Laëtitia Ternisien, c’est une problématique sur laquelle il faut se pencher, car il y a encore des salariés qui bénéficient du chômage partiel et qui n’ont pas pris de congés. En effet, l’accord national interprofessionnel de 2012 prévoit que les périodes de chômage soient assimilées à des périodes de travail effectif permettant l’acquisition de congés payés. Les entreprises se retrouvent avec des compteurs de congés payés très importants et risquent d’avoir des salariés absents sur de plus longues périodes. Cela va être un casse-tête opérationnel pour la fin de l’année 2021 et pour 2022. »
Sébastien Crozier, président de la CGC Orange, partage ce point de vue : « Nous vivons une période de “sous dépôt” de jours de congés payés, de l’ordre d’un tiers par rapport à une année habituelle ». Il l’explique avec le mois de mai, période traditionnelle de prise de congés, qui comportait moins de « ponts » ainsi que la difficulté à se déplacer pendant les confinements. Il constate une hausse d’une semaine des demandes de congés payés pour l’été, mais cela ne représente que cinq jours. Un volume supplémentaire insuffisant pour écluser le stock accumulé.
La situation ouvre la voie à une évolution des dispositifs actuels selon le président de la CGC d’Orange : « La question qui se pose actuellement est de savoir si ces jours pourront être monétisés afin d’abonder les dispositifs d’épargne salariale comme le Perco. Aujourd’hui, il est possible de monétiser jusqu’à cinq jours. Il serait souhaitable de porter ce seuil à dix jours, le maximum prévu par la loi. Cela permettrait par exemple d’augmenter une épargne qui pourrait être utilisée plus tard pour l’acquisition de la résidence principale par exemple. » Or, pour que cela fonctionne, il faut que la DRH ouvre une négociation afin de conclure un accord avec les partenaires sociaux. Pour Sébastien Crozier, monétiser les congés aurait un double avantage : éviter que trop de congés soient posés en fin d’année, période de forte activité, ou en mai 2022.
Même constat pour Éric Chevée, de la CPME : « Le vrai problème, ce sont les congés accumulés durant les périodes d’activité partielle. Dans certaines entreprises, des salariés ont pu accumuler jusqu’à onze semaines de congés payés. » À l’initiative de la CPME, les organisations patronales, Medef et U2P, souhaitent que soit ouverte une discussion paritaire pour résorber ce surplus de congés afin d’amortir ce coût financier potentiellement énorme. La discussion doit démarrer rapidement. Faute d’accord sur des modalités qui rendraient ce coût supportable pour les entreprises, la CPME précise qu’elle pourra être amenée à « s’interroger » sur l’avenir de l’ANI de 2012. Parmi les pistes possibles pourraient figurer l’étalement des congés payés sur plusieurs années ou la transformation des congés en jours de formation. Des propositions qui ne manqueront pas de susciter des discussions nourries entre les partenaires sociaux.