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Chroniques

Yvan William : La chronique juridique

Chroniques | publié le : 12.07.2021 | Yvan William

Stratégie sociale dans les rachats ou les fusions : de l’ordre et du sens

Les opérations de cession ou de fusion amènent quasi systémiquement un questionnement sur les emplois redondants entre l’entité cédée ou fusionnée et le repreneur particulièrement en présence d’activités proches ou concurrentes.

Difficile d’identifier en amont le niveau réel de synergie, sans une connaissance fine des métiers, des méthodes de travail, des spécificités des clients même dans un secteur d’activité commun.

Le Code du travail sous l’impulsion du droit européen a par ailleurs consacré le droit au transfert automatique des contrats de travail des salariés en cas de reprise d’une entité économique autonome poursuivant son activité et conservant son identité chez le repreneur.

Que les suppressions de postes soient inéluctables, qu’iI s’agisse de « rendre la mariée plus belle » ou de satisfaire aux souhaits du repreneur, il est donc périlleux de supprimer des postes avant toute opération entraînant un transfert de plein droit du personnel.

Les licenciements opérés avant le rachat ou la fusion

Les licenciements pour motif économique opérés avant le transfert décidé par le cédant (avec ou sans concertation avec le repreneur) sont en effet souvent privés d’effet en cas de contestation judiciaire.

Le juge autorise cependant les licenciements reposant sur un motif économique réel et sérieux lorsqu’une réorganisation doit être impérieusement conduite avant le transfert indépendamment de celui-ci (éviter une cessation de paiements…).

Il ne faut toutefois pas qu’il puisse être démontré que ces licenciements ont été opérés du fait du transfert (en anticipation des doublons de postes au sein du repreneur) ou à l’occasion du transfert notamment par collusion frauduleuse entre le cédant et le cessionnaire.

La fraude consiste notamment à vouloir éviter de transférer l’intégralité du personnel au repreneur ou de modifier les conditions d’emploi abusivement.

Or, il est fréquent que le candidat au rachat ne souhaite pas reprendre la totalité du personnel au regard de ses ressources existantes, anticipe des gains de productivité, ou estime que les conditions d’emploi du personnel transférables sont plus onéreuses que celles pratiquées ou souhaitées.

Les règles de transfert automatique des contrats de travail consacrées par l’article L. 1224-1 du Code du travail (ex. L. 122-12 alinéa 1) étant d’ordre public ces licenciements se retrouvent alors sans effet.

Le salarié privé abusivement de la poursuite de son contrat de travail peut exiger soit d’être repris par le cessionnaire soit d’obtenir réparation des dommages causés par le licenciement auprès du cédant ou du repreneur financièrement solidaires.

La loi Macron a toutefois autorisé le cédant à procéder à des licenciements en vue d’éviter la fermeture d’un établissement ou d’une entreprise. Ces licenciements sont alors licites s’ils sont justifiés par un motif économique réel et sérieux apprécié au niveau du cédant. Ces licenciements doivent être nécessaires à la sauvegarde d’une partie des emplois (article L. 1233-61 alinéa 3 du Code du travail).

Au vu du caractère d’ordre public des règles relatives au transfert automatique des contrats, ce texte est d’interprétation stricte. Au vu des conséquences sur les licenciements, les faux pas ne sont pas permis.

Les licenciements post-rachat ou fusion

Le juge autorise de longue date les licenciements postérieurs à un transfert de contrat sur un motif économique réel et sérieux.

Il est par exemple fréquent que le cédant soit situé dans une zone géographique éloignée de l’employeur d’origine. Le lieu de travail étant modifié de manière substantielle, le salarié peut refuser et le repreneur procéder à son licenciement.

Le transfert des contrats de travail étant instantané au jour du transfert, la charge financière des licenciements et la démonstration du motif économique sont dans ce cas à la charge du repreneur.

Ceci vaut même si le salarié n’a jamais exécuté son contrat de travail chez le nouvel employeur faute d’accepter les nouvelles conditions contractuelles proposées.

Pour justifier le motif économique du licenciement, le cessionnaire ne peut invoquer « que ses propres difficultés économiques ou celles de sociétés du groupe auquel elle appartient et relevant du même secteur d’activité, et non les difficultés économiques de l’entreprise cédante ».

Partie intégrante dès le transfert de l’entreprise ou du groupe, cette décision se justifie pleinement.

Ce principe a le mérite d’être rappelé avec une grande clarté dans un arrêt récent du Conseil d’État du 14 juin 2021 (n° 438 431) au sujet du transfert d’un salarié protégé. Une position quasi identique serait vraisemblablement rendue par la Cour de cassation.

Une réflexion d’amont et d’ensemble s’impose donc sur la stratégie et les risques, sans précipitation.

Auteur

  • Yvan William