logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le fait de la semaine

France Compétences à la recherche de l’équilibre financier

Le fait de la semaine | publié le : 21.06.2021 | Benjamin d’Alguerre

Image

Formation : France Compétences à la recherche de l’équilibre financier

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Alors que le déficit de France Compétences risque de frôler les 3 milliards d’euros en fin d’année, ministère du Travail et partenaires sociaux se préparent à plancher sur les scénarios d’un retour à l’équilibre financier de l’organisme régulateur des fonds de la formation.

Cette année encore, France Compétences devrait terminer dans le rouge. Les prévisions financières 2021 pour l’établissement en charge de la régulation et du financement de la formation professionnelle tablent sur un déficit compris entre 2,5 milliards et 3 milliards d’euros. L’an passé déjà, l’État avait dû renflouer le navire en urgence pour lui éviter de se retrouver en situation de cessation de paiement sur l’apprentissage et Pro-A. Au mois de juillet, la ministre du Travail Élisabeth Borne et les partenaires sociaux doivent se retrouver pour étudier les pistes d’un rééquilibrage financier à l’horizon 2022 de l’instance créée par la réforme de la formation professionnelle de septembre 2018. Mais l’exercice s’annonce rude. Tout le paradoxe de la situation tient au fait que le déficit structurel de France Compétences… est la conséquence du succès de la réforme !

16 milliards d’euros d’engagements en 2023 ?

Parmi les dispositifs financés par France Compétences (PIC, Pro-A…), ce sont les montées en charge de l’apprentissage et du CPF qui tirent les finances vers le bas. Les 510 000 contrats d’apprentissage en cours d’exécution cette année, financés selon les « coûts-contrats » établis par les branches professionnelles et assortis des aides à l’embauche accordées aux entreprises durant la crise pandémique, pèsent environ 3,04 milliards d’euros, selon des chiffres publiés le 3 juin. À ajouter à la facture du CPF qui s’élève à 1,42 milliard d’euros, mais pourrait frôler les 2 milliards en fin d’année ! Des chiffres dont la progression inquiète, à commencer par les syndicats : « Le budget de France Compétences est de 9,5 milliards d’euros et ses perspectives d’engagement atteindront les 12,5 milliards voire 13 milliards d’euros en fin d’année. Dans le système exponentiel actuel, elles pourront monter jusqu’à 15 ou 16 milliards lorsque les entreprises se seront pleinement emparées des possibilités de coconstruction de leurs plans de développement des compétences avec le CPF de leurs salariés », alerte Jean-François Foucard, administrateur de l’instance pour la CFE-CGC. La récente ouverture aux branches des possibilités de co-abondements augmente d’autant le risque financier. Mi-juin, deux Opco – Atlas pour les secteurs financiers et les activités de conseil et Ocapiat pour l’agro-industrie – avaient déjà signé des conventions ad hoc avec la Caisse des dépôts et consignations, gestionnaire du CPF. Démultipliant ainsi les possibilités de formation offertes aux salariés de leurs entreprises adhérentes… mais risquant de creuser encore un peu plus le déficit de France Compétences.

Réforme à enveloppes ouvertes

Cette « fuite en avant financière » était-elle inévitable ? Pour David Margueritte, élu régional de Normandie et administrateur de France Compétences, tout était écrit. « Dès lors que la réforme s’est faite à enveloppes ouvertes, sans limite et sans possibilité pour France Compétences de dire stop dès qu’elle dépassait son budget, il ne pouvait pas en être autrement. D’ailleurs, nous avions tiré la sonnette d’alarme dès 2017. » Quant au succès de la réforme, il est à relativiser, poursuit-il : « La hausse de l’apprentissage repose surtout sur l’incitation que représentent les coûts-contrats largement supérieurs aux tarifs du marché. Cela a créé des effets d’opportunité chez les employeurs et, au passage, a entraîné l’écroulement de l’autre dispositif d’alternance, le contrat de professionnalisation ».

L’analyse est en partie partagée par la CGT. Poussés par les incitations financières, certains CFA auraient signé des contrats d’apprentissage à la chaîne, sans se soucier du devenir des apprentis. « On comptait encore 40 000 jeunes engagés dans un contrat d’apprentissage sans entreprise d’accueil début 2021. Ce nombre se résorbe petit à petit, mais avant tout parce que ces jeunes sont basculés vers d’autres dispositifs de formation initiale, perdant ainsi le bénéfice de l’expérience professionnelle qu’ils étaient en droit d’attendre », lâche Angeline Barth, secrétaire confédérale cégétiste à la formation. Et les reproches adressés aux financements du CPF sont du même tonneau : trop larges, ils ont permis l’achat de formations dont la valeur ajoutée en termes de mobilité ou d’évolution professionnelle apparaît peu : permis de conduire, cours de langues… « 85 % des formations achetées au titre du CPF relèvent du répertoire spécifique », calcule Jean-François Foucard. Soit des formations « transversales exercées en milieu professionnel », mais qui peuvent difficilement participer à « la montée en compétences de la population » annoncée en 2018.

Pire, l’usage du CPF aurait parfois été détourné de son caractère individuel, comme en témoigne le choix de certaines formations par les usagers. « Des entreprises privées par la réforme de fonds mutualisés font pression sur leurs salariés pour qu’ils financent sur leur propre compte des formations de nature obligatoire qui relèvent normalement d’un financement employeur. Personne ne passe un Caces pour son plaisir… », lance Angeline Barth. De fait, ce permis de conduire pour engins de chantier fait partie du top 5 des formations suivies au titre du CPF selon la Caisse des dépôts.

« Quelques coups de rabot ne suffiront pas »

La remise à plat du système de financement de France Compétences est donc à l’agenda. Mais les marges de manœuvre sont étroites. Dans leur rapport sur les conséquences financières de la réforme, l’Igas et l’IGF avaient déjà posé un certain nombre de scénarios sur la table : diminution du niveau de prise en charge financière de certains coûts-contrats de l’apprentissage, sévère restriction des formations éligibles au CPF ou réduction du niveau des abondements. Soit peu ou prou les hypothèses listées dans la « cartographie des leviers d’actions possibles » présentée aux partenaires sociaux par les services d’Élisabeth Borne en début de mois. Réduire la voilure, donc… une position difficile à tenir à l’approche de l’élection présidentielle quand justement, les bons chiffres de la formation peuvent constituer un argument électoral.

« Rien ne bougera avant 2022 », prophétise David Margueritte. Les partenaires sociaux, eux, aimeraient avancer leurs propositions. À l’image de la CGT qui prévoit le renforcement des moyens de France Compétences par la hausse des contributions formation des employeurs. Sans surprise, ceux-ci, Medef en tête, y ont d’ores et déjà opposé une fin de non-recevoir. Ou l’intention de la CFE-CGC de sanctuariser a minima le dispositif de promotion ou de reconversion par l’alternance Pro-A par le passage à 2 % de la contribution conventionnelle associée (+ 0,32 %) et de confier sa gestion aux seuls partenaires sociaux dans les Opco et dans les branches. « Pour le reste, France Compétences est un établissement public, un outil de l’État. Que ce dernier fasse ses choix ! De toute façon, avec 3 milliards d’euros de déficits attendus, quelques coups de rabot ne suffiront pas à un retour à l’équilibre financier », résume Jean-François Foucard. Mais alors que la remise à plat est à l’ordre du jour, certains imaginent que ce soit la réforme du 5 septembre 2018 elle-même qui soit corrigée. De quoi laisser augurer d’une nouvelle réforme de la formation après 2022 ?

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre