Anne Clotteau Présidente et fondatrice de Thank you & Welcome ; Charles-Henri Besseyre des Horts Professeur émérite à HEC Paris, président de l’AGRH
Dans le contexte de l’après-crise sanitaire, de nombreux emplois vont être amenés à disparaître dans les années à venir et parallèlement, de nouveaux métiers vont se révéler du fait de l’émergence de nouvelles demandes sociétales comme celle de la transition climatique et, bien sûr, le renforcement du digital dans toutes les activités humaines. Pour relever le défi de la mutation des emplois et donc permettre à l’entreprise de rebondir, il est temps de mobiliser, au-delà de l’apprentissage et de la formation, le gisement important, et pourtant peu exploité, des ressources de la transmission des connaissances. Si l’apprentissage et la formation ont été en effet particulièrement mis sur le devant de la scène pendant la crise sanitaire pour renforcer la capacité à acquérir de nouvelles compétences pour trouver ou maintenir son emploi, il en a été autrement pour la question de la transmission qui est, quant à elle, beaucoup moins évoquée. Et pourtant, pour faire circuler la connaissance il faut à la fois des apprenants, récepteurs des informations, et des transmetteurs, pourvoyeurs de connaissances. La transmission favorise la reconnaissance tout autant que la performance. Elle permet de faire perdurer et de développer les compétences clés ou critiques et quelques fois invisibles, de faire évoluer les métiers, de créer des synergies et est tout aussi bénéfique à l’entreprise qu’aux collaborateurs. Encore faut-il savoir comment repérer et encourager les collaborateurs à transmettre et les aider à transformer leurs expériences en connaissances partagées. De la même manière qu’il faut motiver et apprendre à apprendre, il faut motiver et apprendre à transmettre, à structurer et transférer ses compétences. Cela ne se décrète pas et ne s’improvise pas comme l’a montré depuis un quart de siècle l’expérience du knowledge management1 qui a connu des hauts et des bas. Il est donc important d’ancrer la transmission dans le fonctionnement interne de l’entreprise.
Quelques salariés ont encore peur de se voir déposséder d’une partie de leurs savoirs, qu’ils voient comme sources de leur pouvoir2, et de favoriser la concurrence, mais ces freins disparaissent petit à petit. Mais avec la révolution digitale, le savoir n’est plus le pouvoir. Les communautés de pratiques, les dispositifs de mentoring, de reverse mentoring et d’offboarding se développent de plus en plus. Nous sommes par ailleurs de plus en plus conscients que les ressources sont limitées, qu’elles soient naturelles ou humaines, et que la notion de propriété doit laisser place à celle de partage, source d’enrichissement pour tous. Il est donc temps de mettre sur un pied d’égalité l’apprentissage et la transmission. La transmission est un acte apprenant, encore faut-il que les collaborateurs aient la motivation, intrinsèque ou extrinsèque, et trouvent du sens pour partager leur savoir.
Un mail, une procédure écrite ou une réunion ne suffisent pas au transfert de connaissances. Les connaissances résident au sein des membres de l’organisation, des outils, des tâches et des parties prenantes. Les managers autant que les responsables RH ont pour mission de développer cette culture de la transmission, de lui donner du sens. Des dispositifs et plateformes digitales3 peuvent les aider à produire, structurer et faire circuler des connaissances. Ils assurent également leur accessibilité et disponibilité au sein de l’organisation. Le transfert de connaissances peut bénéficier du potentiel énorme du digital pour la capture et la sauvegarde des pratiques métiers (consigne, mode opératoire, référentiel, film, vidéo, etc.), la formalisation de l’expression et des savoirs tacites, et l’archivage des retours d’expériences ou des témoignages de parcours professionnels. Sans transmission, sans dispositif d’identification et de reconnaissance des expertises, des connaissances et expériences, et sans dispositif d’accompagnement des collaborateurs à transmettre, l’apprentissage sera moindre pour permettre à l’entreprise de rebondir dans l’après-crise sanitaire. C’est, en définitive, aux managers et aux DRH que revient la responsabilité de convaincre les collaborateurs que « donner génère plus de sens que recevoir » à l’heure où la question du sens dans l’entreprise fait partie de son nouvel ADN4.
(1) Rouleaux Dulage M. : Organisation 2.0 : le Knowledge Management nouvelle génération, Eyrolles, 2011.
(2) Crozier, M. & Friedberg, E. : L’acteur et le système, Le Seuil, 1977.
(3) Voir l’exemple de la plateforme « Thank You and Welcome » : https://thankyouandwelcome.fr
(4) Cercle SOCIETHICS : Le Sens, ADN de l’entreprise responsable, Diateino, Juin 2021.