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Prévention : Passer du diagnostic à l’expérimentation

Le point sur | publié le : 14.06.2021 | L. T.

En région Occitanie, les participants au programme lancé par la Midelca passent en revue les problèmes généraux ou particuliers qui peuvent favoriser les addictions dans leurs structures.

En avril dernier, les entreprises de la région Occitanie volontaires pour participer au programme se sont retrouvées pour une quatrième séance de travail en visioconférence. François Auriol, d’Addictions France, Catherine Levrat-Pinatel et Aurore Coiblon de l’Aract ont accueilli les participants et rappelé les règles de fonctionnement : « la contribution de chacun », « l’écoute », « la bienveillance », « couper son micro », « utiliser le fil de conversation pour les questions ». Catherine Levrat-Pinatel a commencé par rappeler quelques chiffres qui peuvent aider à sensibiliser les salariés en interne : 20 % des hommes consomment du tabac, 8 % des femmes de l’alcool à un point dangereux… « Les chiffres de la Mildeca peuvent être une base de discussion », conseillent les animateurs. « Quand on parle de 5 % de femmes qui ont une consommation de psychotropes, c’est une donnée qui passe sous les radars. Si vous êtes dans une entreprise de 100 personnes, vous avez potentiellement au moins 5 femmes concernées. Certains d’entre vous sont bien plus nombreux », a souligné François Auriol. « Les consommations addictives sont bien plus nombreuses que celles que l’on recense actuellement, seulement souvent par le biais des accidents : le sujet n’est pas minime », poursuit-il.

Des consommations différentes

Cette matinée a permis de faire le point sur l’état d’avancement des diagnostics dans chacune des structures, avec l’idée de passer à l’expérimentation, après un état des lieux qui a duré plus de deux mois. La phase la plus compliquée pour les deux collectivités (villes de Lourdes et de Castanet-Tolosan), les deux entreprises privées (Tarnaise des panneaux et DSI) et les deux organismes de sécurité sociale participants (MSA et CPAM 31). « En collectivité, entre des éboueurs et des assistantes maternelles de la crèche, les horaires, les conditions de travail sont tellement variés qu’avant de pouvoir poser un plan d’action global qui s’appliquerait à tous, il faut questionner le travail. On a incité les entreprises à sélectionner un groupe professionnel qui ait du sens, un service ou un corps de métier, pour décortiquer leur travail et voir en quoi il pourrait générer une conduite addictive à cause des horaires, de l’ambiance ou du stress », explique François Auriol.

Karine Walch, l’une des participantes, responsable hygiène et sécurité à la Ville de Lourdes, a évoqué le cas d’un agent, qui consomme du CBD sur prescription d’un addictologue. « Il m’a demandé s’il pouvait le consommer, comme une cigarette, sur le lieu de travail. Je m’interroge sur les fumées et sur l’image que cela renvoie à ses collègues », dit-elle. « Les odeurs ne sont pas interdites, mais vous soulevez un problème d’image », répond François Auriol. « Y a-t-il eu un dialogue, des explications avec son équipe ? », demande l’animateur. « Le collectif de travail est compliqué », élude Karine Walch. « Le CBD n’est pas interdit, surtout s’il est prescrit par un médecin, mais il va falloir travailler avec son équipe et peut-être encourager cet agent à un peu de discrétion, peut-être lui rappeler l’image de la collectivité quand il travaille en extérieur », conseille François Auriol. « On se retrouve coincé sur des questions de bonne intelligence et de travail collectif. S’il y a une prescription, le médecin du travail doit en être informé. Vous pouvez peut-être vous rapprocher de lui pour un échange ? »

La société DSI évoque un besoin de données chiffrées, pour appuyer sa présentation auprès du CSE et de la direction. L’animatrice présente alors un outil à disposition de tous : une bourse à outils en deux colonnes : « j’ai un besoin » et « j’ai un outil », afin de favoriser la mutualisation. Le tour de table a permis à chacune de structures de présenter son diagnostic et les démarches engagées. Beaucoup avouent un manque de temps, mais tous ont commencé à établir des fiches pratiques pour communiquer auprès de la direction ou des managers, certains ont établi des feuilles de route pour inviter des spécialistes des addictions pour des conférences, ou choisi un service pour tenter de réfléchir en interne à l’organisation du travail.

Un lien avec la désinsertion professionnelle

À la CPAM 31 (en Haute-Garonne), le chargé de mission RSE Michaël Parpillat a rédigé des fiches sur la santé et les addictions, disponibles sur l’intranet, il redéfinit les process RH et le rôle de chacun des acteurs, et prépare un webinaire pour la fin de l’année sur les addictions et les outils mis en place. Le livret d’accueil sera aussi modifié, tout comme le document unique pour mieux évoquer les addictions. « On travaille aussi à une charte d’encadrement des pots et des moments conviviaux en entreprise », poursuit-il, avant d’amener une piste intéressante : travailler la question des addictions en lien avec celle de la désinsertion professionnelle. « C’est intéressant par rapport à la future réforme de la santé au travail qui se basera sur ces deux piliers de prévention et de santé », réagit Catherine Levrat-Pinatel qui conseille d’éviter de couper les différents sujets (RPS, addictions, désinsertion) « en tranches », mais de faire des passerelles entre eux.

Pour la Ville de Lourdes, Karine Walch évoque la difficulté de sortir du tabou, notamment sur l’alcool. « Les chefs de service où il y a des conduites d’engins restent sur l’idée de tests de dépistage avant la conduite : on est encore sur le contrôle », regrette-t-elle. Beaucoup racontent les subterfuges mis en place dans les équipes : quand un collègue arrive un peu éméché, « on le cache », « on fait le job à sa place », puis on finit par le mettre un peu de côté. « On a organisé un jeu avec les chefs de service pour partager leurs connaissances sur les addictions et il en est ressorti un besoin de définitions et d’outils, par exemple un règlement intérieur », poursuit Karine Walch qui pense à passer à l’écrit pour inciter les salariés à parler, et se réjouit de l’arrivée d’un formateur CST dans l’équipe qui pourrait rédiger une fiche pratique, envoyée avec la fiche de paie, sur les risques liés aux addictions.

Une idée de délation

Cheffe de service relations sociales à la mairie de Castanet-Tolosan, Catherine Mazodier suit attentivement les avancées de ses confrères. « Depuis 2017, nous avons instauré des formations de prévention, d’abord pour les encadrants puis plus largement », raconte-t-elle. Désormais trois personnes se chargent du suivi pour la collectivité, pour instaurer « une culture commune ». L’expérimentation est pour elle « une opportunité », suite au changement de l’équipe municipale l’an dernier, et l’arrivée d’une élue en charge des RH intéressée par la démarche. « Je pense qu’on a passé un cap : on est sorti du tabou. Aujourd’hui, si un agent prenait une bière pendant sa pause, ça ne passerait plus », perçoit-elle. Les salariés ont compris que parler du problème n’était pas de la délation. « On a un agent qui était extrêmement tendu ce trimestre et il a commencé à fumer, pour la première fois à 55 ans. Ses collègues nous en ont parlé et j’ai pu le rencontrer », raconte la conseillère en prévention de la collectivité, Sabine Genzac. « Il m’a raconté que le changement d’équipe municipale avait été brutal et violent pour lui. C’est rentré dans l’ordre, mais on reste vigilant », poursuit-elle. « Avant, on n’aurait pas agi comme ça, on aurait eu l’impression d’entrer dans son intimité, et de ne rien pouvoir faire. Beaucoup d’obstacles ont été levés », analyse Catherine Mazodier.

La situation est néanmoins très différente selon les entreprises et les secteurs d’activité. Un service culture qui organise des vernissages d’exposition, avec alcool pour le public invité, doit s’abstenir de consommer, ce qui n’est pas simple à faire passer. Le personnel d’une maison de retraite va servir un verre de vin aux résidents, mais a l’interdiction de boire avec eux… « Parler de ces sujets permet de préserver la personne et l’équipe, car c’est très lourd de gérer une conduite addictive », analyse Catherine Mazodier. « Gérer l’organisation et les plannings en cas de manquement est compliqué pour un chef de service, et la responsabilité de l’employeur ne peut être dissociée en cas d’accident. La prévention, c’est éviter de faire le pompier », résume-t-elle. Et en ce qui concerne les addictions, les pompiers arrivent souvent trop tard…

Auteur

  • L. T.