logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Chroniques

Yvan William : La chronique juridique

Chroniques | publié le : 14.06.2021 | Yvan William

Image

Yvan William : La chronique juridique

Crédit photo Yvan William

Sécurité, urgence et légalité

Voilà un ménage à trois qui peut s’avérer difficile. « Conformément à la volonté du président de la République, le gouvernement a souhaité engager une rénovation profonde de notre modèle social, en concertation avec les organisations syndicales et patronales de la Nation. » Voilà comment naissaient les ordonnances dites Macron du 22 septembre 2017, prolongeant et engageant des transformations profondes du droit du travail (CSE, barème, clarification de l’ordre public social et du domaine de l’accord d’entreprise…).

Doté d’une toute fraîche légitimité politique et du sentiment d’urgence ayant porté la campagne, le nouvel exécutif recourait à une loi d’habilitation pour faire souffler le vent de la réforme.

« Afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation »… « de prévenir et limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l’emploi… ».

L’article 11 de la loi du 23 mars 2020 habilitant le gouvernement à prendre par ordonnance des dispositions relevant de la loi justifiait à nouveau la prise de mesures d’exception. Soumis à ratification par le Parlement, encadrées dans un temps théoriquement court, ses ordonnances autrefois épisodiques deviennent familières.

Réformiste ou urgentiste, dirigiste ou liberticide… les qualificatifs donnés à cette voie choisie pour gérer l’urgence sanitaire ou mener rapidement les transformations sociales voulues par le gouvernement dépendent du point de vue.

Dans un excellent article (Le Monde 1er mars 2021), Mireille Delmas-Marty nous interpellait sur les risques d’infantilisation et la « tentation d’instaurer une surveillance permanente et généralisée digne d’un régime autoritaire » pour faire face à la pandémie. Elle nous mettait également en garde au sujet d’un rêve de perfection s’accompagnant d’une inflation de normes, véritable « goutte-à-goutte normatif » citant sur ce point Catherine Thiberge.

En droit du travail, l’état d’urgence et l’inflation de courtes questions-réponses sans valeur normative réelle, interprétant elles-mêmes ce que les ordonnances et leurs décrets d’application ne disent pas, mérite notre vigilance. C’est ce que le Conseil d’État vient récemment de rappeler dans un arrêt du 19 mai 2021 (Décision n° 44103).

Dans cette affaire, c’est l’article 9 de l’ordonnance du 22 avril 2020 et son décret d’application qui permettaient notamment de raccourcir significativement le délai d’information-consultation du CSE qui fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Le délai maximal de remise de l’avis définitif du CSE passait d’un mois à huit jours en l’absence d’expert désigné par le CSE et de deux mois à onze jours en cas d’expert. Un rêve pour certains, une gageure pour d’autres.

Dispositions annulées ! le Conseil d’État relève que les mesures de l’ordonnance et du décret excédent le cadre fixé par la loi d’habilitation. On pourrait discuter de la sévérité de la décision au vu du texte de la loi d’habilitation concerné, mais le message est sans doute ailleurs et relève symboliquement de l’avertissement. Il aura fallu plusieurs actions aux syndicats FO, Solidaires et SAF pour y parvenir, mais le résultat est là.

Conséquences : la validité de l’ensemble des consultations réalisées pour prendre des mesures pour faire face à la pandémie pendant la période d’environ quatre mois couverte par ces dispositions (du 3 mai au 23 août 2020) pourrait être remise en cause.

Il convient plus que jamais de prendre acte de l’ambivalence de ces mesures d’urgence et de pondérer leur effet juridique en particulier concernant les questions-réponses ministérielles. Une confrontation doit être réalisée avec le droit commun et la proportionnalité des décisions prises par l’entreprise mesurée à la situation. Du bon sens, beaucoup de bon sens.

Et surtout sortons vite, il n’est pas encore 23 heures !

Auteur

  • Yvan William