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Jean Pralong : L’expertise du Lab RH

Chroniques | publié le : 14.06.2021 | Jean Pralong

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Jean Pralong : L’expertise du Lab RH

Crédit photo Jean Pralong

Quand l’indifférenciation des stratégies fait l’indifférence des candidats

Dans les organisations d’aujourd’hui et d’hier, les décisions stratégiques sont l’affaire des non-experts. Un directeur du recrutement doit convaincre un DRH qui n’entend pas grand-chose aux ATS, aux outils psychométriques ou aux réseaux sociaux. Ce même DRH devra convaincre un comité de direction pour qui le reskilling ou les talents sont des sujets bien abstraits. La confrontation du discours de l’expert à la décision du généraliste est plus qu’un détail.

L’expert utilise un raisonnement systématique : il analyse, conceptualise et arbitre selon des arguments rationnels. Le généraliste, faute de connaissances, est tenté par le raisonnement heuristique : celui des résumés simplificateurs, des consensus faciles et des évidences immédiates. Et, dès lors, c’est le raisonnement du décideur qui s’impose. Les entreprises vont souvent au plus heuristique. Et le plus heuristique est bien souvent ce que font déjà les autres. Adopter des « bonnes pratiques » revient souvent à pratiquer comme son voisin. C’est pourquoi, paradoxalement, les entreprises se copient plus souvent qu’elles ne se distinguent. L’isomorphisme, ou la tentation de penser et d’agir comme les autres, est une de ces forces invisibles qui bloquent les entreprises. Puisqu’il est plus aisé de faire comme les autres, les entreprises sont comme prises dans la toile d’araignée des comparaisons. Leurs façons de penser et leurs pratiques sont comme ancrées de l’extérieur. Changer est bien inconfortable quand le consensus ligue clients, fournisseurs et concurrents. Ainsi subsistent des règles obsolètes, des outils usés et des pratiques douteuses. Ainsi, aussi, les experts prêchent-ils dans le désert.

Ainsi se pose, aussi, le problème de la marque employeur et de l’expérience collaborateur. Apparues dans le sillage des crises de recrutement des années précovid, ces notions ont reçu un succès théorique immédiat. Puisque candidats et salariés sont en position de mettre leurs entreprises en concurrence avec d’autres, il faut bien nourrir leur choix. Reste à comprendre comment. Car les comportements réels ou supposés des candidats sont l’une des forces qui poussent à l’isomorphisme. Puisque toutes les entreprises luttent pour les mêmes candidats, elles utilisent les mêmes stratégies pour les séduire. On connaît le stéréotype du même baby-foot des mêmes startups, censé différencier.

L’impossibilité de concevoir des stratégies de différenciation fait que la réflexion sur la marque employeur est contaminée par l’isomorphisme. Mais cette contamination décale les finalités. Les campagnes de marque employeur sont des « bonnes pratiques ». En gérer permet de postuler au club des entreprises prestigieuses. Elles parlent aux RH qui les conçoivent, se narcissicisant au passage en s’identifiant au glamour des communicants ou des marketeurs. Elles parlent aux dirigeants qui les financent, mais qui cherchent peu à mesurer leurs effets. Tout se passe comme si avoir une marque employeur était un objectif en soi. Et l’indifférenciation des cibles fait l’indifférenciation des campagnes et, finalement, l’indifférence des candidats.

Auteur

  • Jean Pralong