Charles-Henri Besseyre des Horts Professeur émérite à HEC Paris, président de l’AGRH
Ce slogan pourrait être celui des collaborateurs, à la sortie de la crise que l’on espère proche, dans les entreprises encore engluées dans un fonctionnement marqué par une hiérarchie pesante et des règles absurdes ! Et pourtant cette crise historique a fait évoluer en quelques mois les pratiques d’un certain nombre d’organisations privées et publiques vers plus de responsabilité et de subsidiarité, alors qu’il aurait fallu des années pour beaucoup d’entre elles, dans une période normale, pour se transformer1. Le livre remarquable « Humanocratie » de Gary Hame et Michele Zanini, écrit juste avant la pandémie et qui vient de sortir en français2, s’insurge contre les dérives bureaucratiques des entreprises privées et publiques et donne des clés essentielles pour accompagner ce mouvement, en se débarrassant une fois pour toutes, par une place nouvelle donnée à l’humain, de la bureaucratie omniprésente avec « ses structures de pouvoir autocratiques, ses règles étouffantes et ses politiques toxiques ».
Le terme « humanocratie » peut paraître barbare et faire référence à une nouvelle technocratie de l’humain ; rassurez-vous, il n’en est rien ! Il faut se souvenir que « démocratie » vient du grec « demos » peuple et « cratos » pouvoir. Ici, il est seulement question de redonner le pouvoir aux humains pour permettre aux organisations d’être plus innovantes et plus audacieuses, dans un contexte de plus en plus imprévisible, comme l’a démontré l’expérience de cette crise sanitaire. En effet, celle-ci a donné lieu à des innovations formidables menées en autonomie par des équipes de terrain, souvent en dérogeant aux règles, pour faire face à l’urgence de la situation3. Cet ouvrage s’inscrit dans le sens de l’histoire, car les jeunes générations n’acceptent plus, dans nos organisations, les petits chefs, les règles tatillonnes ou l’excès de reporting dénoncé par le sociologue français François Dupuy dans sa trilogie Lost in Management4.
Les dirigeants et les managers trouveront dans « Humanocratie » des pistes pour faire évoluer leurs organisations avec une remise en cause de principes de fonctionnement qui, pour nombre d’entre eux, sont vieux de plus d’un siècle ! Il n’est, certes, pas étonnant que les auteurs identifient les sources du fonctionnement bureaucratique de nos organisations dans le modèle de l’organisation taylorienne, dont le principe fondateur est la distinction entre conception et exécution, et celui de l’idéal bureaucratique décrit par le sociologue allemand Max Weber.
La démonstration de la force de l’humanocratie s’appuie, entre autres, sur les cas emblématiques de deux entreprises – Nucor et Haier – pour montrer qu’il est possible de fonctionner différemment, en donnant à l’humain une place centrale. Ces deux entreprises, chacune dans leur secteur d’activité (sidérurgie, équipements de la maison), comptent parmi les plus performantes au monde et ont en commun l’organisation en petites unités, avec un fonctionnement fondé sur l’autonomie et la confiance ! Une bonne surprise arrive au chapitre 14, avec une description approfondie de la démarche de responsabilisation initiée par Michelin depuis quelques années, comme exemple d’une entreprise en route vers l’humanocratie. En effet, il est très rare, dans un ouvrage américain de management, de voir citer une entreprise française comme modèle d’innovation managériale !
Gary Hamel et Michele Zanini peuvent être félicités pour la clarté de leurs propos sans langue de bois, les nombreux exemples d’organisations, les pistes qu’ils proposent pour éradiquer la bureaucratie et, surtout, pour la place réelle qu’ils donnent à l’humain, afin de permettre à nos organisations, privées et publiques, d’être plus agiles et plus innovantes. Il est probable que la lecture de cet ouvrage fera grincer les dents de certains dirigeants et managers qui pourront se sentir remis en cause, mais c’est le prix à payer pour s’embarquer dans la voie de l’humanocratie. N’hésitez pas à remettre en cause le fonctionnement historique de vos organisations, car le jeu en vaut la chandelle ! L’une des leçons de cette pandémie est que nous devons apprendre à être, individuellement et collectivement, plus résilients.Cet ouvrage est un guide formidable pour atteindre cet objectif !
(1) Besseyre des Horts, CH : « Apprendre de la crise sanitaire : responsabilité et subsidiarité », Entreprise &Carrières, n° 1510, du 11 au 17 janvier 2021, p. 22
(2) Hamel, G. & Zanini M. : Humanocratie, Diateino. Juin 2021
(3) Besseyre des Horts, CH. : « Favoriser l’empowerment pour faire face à la pandémie », Entreprise &Carrières, n° 1476, du 16 au 19 avril 2020, p. 12
(4) Dupuy, F. On ne change pas une entreprise par décret (Lost in Management, tome 3), Le Seuil, 2020.