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Le grand entretien

« Les syndicats ne sont plus considérés comme une composante de l’intérêt général »

Le grand entretien | publié le : 31.05.2021 | Frédéric Brillet

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« Les syndicats ne sont plus considérés comme une composante de l’intérêt général »

Crédit photo Frédéric Brillet

Dans son essai Travail et ambition sociale. Plaidoyer pour une refondation du syndicalisme publié chez L’autreface, Paul Santelmann dresse un constat sévère de l’état du syndicalisme en France et propose une refondation permettant de conjuguer efficacité économique et justice sociale.

Parmi tous les maux qui affligent le syndicalisme, quels sont les plus graves ?

La question est complexe… Il est un fait bien connu : le mouvement syndical français est en fort déclin. La récente consultation électorale nationale en matière de représentativité syndicale dans les TPE a vu une participation de 5,4 % (soit 257 000 suffrages exprimés pour 4,9 millions d’inscrits !) qui s’est dispersée sur onze syndicats avec une CGT à 26,3 %… On ne peut pas se satisfaire, dans une démocratie, d’un syndicalisme qui ne cesse de décliner en nombre d’adhérents, en représentativité et qui est marqué par des crises internes. Le plus grave est certainement le désintérêt de la grande masse des salariés et des chômeurs à l’égard de cette situation délétère. Plus globalement, les syndicats ne sont plus considérés comme une composante des enjeux démocratiques et de l’intérêt général.

La crise du syndicalisme remonte au début des années 80, constatez-vous. Que s’est-il passé à ce moment-là ?

Les années 80 voient la concomitance de l’explosion du chômage de masse et l’accélération des transformations technologiques et organisationnelles de l’économie. Les syndicats n’étaient pas préparés à assumer les conséquences de ces phénomènes, qui supposaient un nouveau pacte avec le patronat allant dans le sens d’un partage des responsabilités sur les chantiers de l’emploi et du travail. En fait, le syndicalisme s’est trop aligné sur l’étatisme de notre classe politique et s’est laissé entraîner dans un paritarisme de gestion, subordonné à l’interventionnisme public.

Vous n’êtes pas tendre avec les puissants syndicats du secteur public…

Dans mon livre, je m’intéresse à la façon dont leur hégémonie s’est consolidée, avec des nuances selon les confédérations. Cette évolution a abouti à marginaliser les fédérations du secteur marchand au profit d’une défense corporatiste des bastions du secteur public. Or les syndicalistes de ce secteur ont souvent des représentations erronées ou caricaturales de l’économie, du marché de l’emploi, des cultures de métiers, de la négociation collective. Leur prépondérance n’a pas contribué à donner des perspectives claires aux syndicalistes des entreprises privées confrontés à des questions complexes liées aux transformations de l’emploi et aux mutations du travail.

Pourquoi qualifiez-vous de « grande illusion » notre système de formation continue ?

La formation continue est une illustration du rôle supplétif et passif des partenaires sociaux dans la succession de réformes étatistes. Leur passivité a favorisé l’émergence d’un système étrange, une synthèse improbable entre néo-libéralisme et dirigisme administratif. On a construit et déconstruit des usines à gaz inefficientes. Les partenaires sociaux, pour des raisons diverses, ont préféré laisser l’État s’occuper de la formation professionnelle alors que l’on commençait à prendre la mesure des imperfections et limites d’un système éducatif qui aggravait les inégalités sociales. L’enseignement professionnel est demeuré une voie de relégation, l’apprentissage et l’alternance ont été pilotés sans que les syndicalistes de terrain ne s’y impliquent… Résultat, le monde syndical a échoué à développer une culture de la formation dans les entreprises et la formation continue manque d’ambition : elle ne parvient pas à donner des perspectives intéressantes pour celles et ceux qui souhaitent évoluer.

Vous regrettez aussi la focalisation excessive des syndicats sur la précarisation de l’emploi…

D’une manière générale, le fait de dénoncer toutes les dérives du système économique ne suffit pas à établir un rapport de force plus favorable aux salariés. Encore faut-il que les syndicats fassent valoir auprès des employeurs l’intérêt d’être plus attentifs aux conditions qui favorisent le « travail bien fait » et à l’engagement des salariés dont dépend la qualité des biens ou services produits. Le développement des compétences des jeunes, la reconnaissance des acquis des salariés expérimentés relève aussi d’une coresponsabilité des syndicats et des employeurs. Nous sommes dans un pays où l’entrée des jeunes sur le marché du travail est marquée par la précarisation et la déqualification et où nombre de salariés après 45 ans n’ont plus de perspectives autres qu’un départ précoce à la retraite. Cela devrait interpeller les partenaires sociaux…

Ces derniers peinent, par ailleurs, à nouer un dialogue sur les choix technologiques et organisationnels, remarquez-vous. Avec quelles conséquences ?

La pandémie a mis en lumière de nombreux retards de la société : l’insuffisante appropriation du numérique par les collectifs de travail, l’abandon d’une stratégie industrielle, la faible participation des salariés aux choix technologiques et organisationnels… Certains ont la nostalgie d’un État « stratège » capable de relever ces défis alors que c’est la faiblesse du dialogue social en France qui a offert un espace décisionnel démesuré à une technocratie d’État dont on mesure aujourd’hui toutes les limites. S’il y a un dialogue social, d’ailleurs souvent convenu, dans les grandes entreprises publiques ou privées, les syndicats peinent véritablement à pénétrer les entreprises plus petites et à définir des priorités sectorielles et territoriales. La division syndicale est un obstacle majeur à la mutualisation des ressources militantes de terrain nécessaires pour s’implanter dans les entreprises de petite taille. De plus, les unions locales, départementales et régionales des différents syndicats sont plutôt tenues par des syndicalistes du secteur public peu ouverts aux problématiques économiques ou aux évolutions de l’emploi local.

Quel rôle jouent ou devraient jouer les syndicats dans la révolution en cours des espaces et processus de travail ?

La réticence d’une partie des syndicats à devenir force de proposition sur ces enjeux dessert l’intérêt des salariés et affaiblit leur capacité à être porteurs de solutions pour l’entreprise. Il y a une prise de risque que les syndicats doivent assumer s’ils veulent retrouver une légitimité. Ils auraient intérêt à promouvoir la responsabilisation et l’engagement des salariés dans les transformations du travail, à s’impliquer dans le développement économique local…

Finalement, que pourrait faire le monde syndical pour enrayer son déclin ?

Il lui faut d’abord sortir d’un certain déni sur sa propre histoire. Les organisations doivent aussi s’adresser aux salariés du secteur marchand de façon plus claire et éviter de laisser penser que l’État possède les solutions à tous leurs problèmes. Pourquoi revitaliser le syndicalisme si l’on pense que la puissance publique peut mettre fin à tous les maux ? Le syndicalisme se doit de donner des perspectives, de proposer des solutions émanant des échanges avec les salariés. Il lui faut valoriser les compétences et l’engagement professionnel, s’impliquer sur les enjeux technologiques, organisationnels, les conditions de travail et la formation professionnelle.

En quoi l’abandon du scrutin proportionnel pourrait-il contribuer à ce renouveau ?

Il faut que les salariés puissent sanctionner la division syndicale autrement que par l’abstention. Le scrutin majoritaire permettrait de donner au syndicat arrivé en tête la pleine maîtrise des leviers de négociation et d’action et d’en rendre compte à tous les salariés sans pouvoir se défausser sur l’opposition des autres organisations. De cette façon, les salariés pourraient concrètement évaluer le bilan du syndicat majoritaire et revoir éventuellement leur choix au scrutin suivant.

Parcours

Expert du système de formation continue, des politiques d’emploi et des évolutions du travail, Paul Santelmann a été notamment chef de mission à la Délégation à la formation professionnelle dans les années 90 et responsable de la prospective à l’Afpa jusqu’en 2019. Membre du comité de rédaction de la revue Éducation permanente, il assure une activité de conseil et d’études depuis 2020. Il vient de publier Travail et ambition sociale. Plaidoyer pour une refondation du syndicalisme (éditions L’autreface, avril 2021).

Auteur

  • Frédéric Brillet