Forcée par la généralisation du télétravail sur fond de crise sanitaire, la gestion des équipes à distance a pris de nombreux managers et de nombreuses DRH par surprise. Peu formés aux méthodes remote, les animateurs d’équipe ont pourtant dû s’adapter. Avec plus ou moins de bonheur. Au point que les spécialistes RH sont nombreux à réagir pour les accompagner.
Certains appellent cela le « management zoom ». Contraints par la crise sanitaire, qui a généralisé le télétravail pour tous ceux dont le type de tâches s’y prêtait, les managers ont dû d’abord s’emparer des outils de communication, Zoom, Teams ou autres. Mais au-delà de cet apprentissage, ils ont surtout dû apprendre à communiquer à distance, et plus encore, à gérer les équipes de cette façon. Et c’est là que les difficultés ont surgi. Fallait-il appeler tous les jours les collaborateurs, ne serait-ce que pour montrer le soutien du management, mais au risque de donner l’impression que la confiance n’était pas au rendez-vous ? Fallait-il adopter une gestion individuelle différenciée, en fonction des profils psychologiques, si les managers s’étaient déjà penchés sur les différentes personnalités dans leur équipe ? Comment envoyer des signes de reconnaissance pour le travail et les efforts fournis ? Et comment détecter les signaux faibles, ceux qui indiquent qu’un salarié est en difficulté, parce que sa charge de travail est trop lourde, ou qu’il se sent seul chez lui, ou au contraire, qu’il est perturbé par des interactions avec le reste de la famille ?
« Le télétravail apporte clairement des difficultés supplémentaires au manager », confirme Florent Massonneau, responsable de l’export et cofondateur d’exolis, une PME marseillaise créée en 2015 et spécialisée dans le parcours santé connecté pour les patients, qui emploie actuellement 27 collaborateurs. « Les discussions, par écran interposé, ne portent que sur le travail et il est en conséquence plus difficile de repérer un éventuel mal-être », dit-il. Sans parler de sa réaction prémière, l’agacement, lorsqu’un collaborateur l’a appelé tard un soir… « J’ai la chance d’avoir une équipe aguerrie et autonome, cela ne pouvait donc qu’être important », poursuit-il. Demandes des collaborateurs, difficulté à évaluer leur état psychologique, disponibilité à toute épreuve, sans oublier, dans certains cas, des exigences accrues de la part de la direction : les managers ont dû faire face – avec plus ou moins de bonheur…
« Cette adaptation va bien plus loin qu’un simple apprentissage de différents outils, elle touche aux pratiques managériales et à la posture », souligne Emmanuelle Charrier, directrice conseil transformation et talent de Talent solutions, le cabinet de conseil RH de Manpower. « Les entreprises qui avaient déjà développé le télétravail avant la crise, celles qui avaient une culture managériale fondée sur la confiance et la responsabilisation des équipes, de même que sur la gestion par l’objectif, ou celles qui avaient déployé des formations en ce sens en amont de la crise, s’en sont mieux sorties », ajoute-t-elle.
C’est le cas de la société ADP, spécialisée dans les solutions de gestion RH et de paie. « Nous avons scellé un accord télétravail dès juin 2011, indique ainsi Delphine Douetteau, talent &performance acceleration manager. En outre, nous avons neuf sites de travail en France. Nos managers étaient donc déjà confrontés à la gestion à distance. » Dès la signature de l’accord télétravail, la société a mis en place des formations sur le management à distance, d’abord ponctuelles, puis plus régulières, et incluses dans les catalogues de formation à partir de 2015. Si tous les managers pouvaient en bénéficier, Delphine Douetteau relève toutefois qu’il était difficile pour certains d’adopter le télétravail pour leur équipe, parce qu’ils redoutaient un certain relâchement dans l’exécution des tâches.
La pandémie et la mise en télétravail obligatoire ont changé la donne. « Tous les managers ont dû le pratiquer. Et ceux qui avaient des craintes ont constaté qu’elles étaient infondées », précise-t-elle. Leur apprentissage a seulement été plus ardu, puisqu’il leur a fallu aller chercher en eux – et en urgence –, des qualités d’écoute, notamment, supérieures à celles qu’il faut avoir au bureau, où le présentiel donne davantage d’informations sur les attentes des collaborateurs. Autant dire qu’il leur a fallu développer de nouvelles soft skills, « qui concernent d’ailleurs le management en général, pas uniquement celui qui doit se faire à distance », poursuit Delphine Douetteau.
Si, face à la situation d’urgence, Florent Massonneau a appelé les managers qu’il avait côtoyés au début de sa vie professionnelle, et même son ancien patron, afin d’avoir des conseils, et n’exclut pas de suivre ultérieurement une formation ad hoc, d’autres managers semblent s’être sentis bien seuls. D’ailleurs, selon le baromètre annuel de Malakoff Humanis, publié en février 2021, seuls 32 % des managers déclaraient avoir bénéficié d’un accompagnement dans la mise en œuvre du télétravail… Les conséquences n’ont pas tardé à se faire sentir, de la baisse de l’engagement des collaborateurs à l’épuisement des managers. Avec un impact potentiel sur la performance de l’entreprise. Pandémie oblige, le télétravail est en outre resté la norme, et pourrait se transformer, à l’avenir, en mode de travail hybride, mi-présentiel, mi-distanciel. Les spécialistes des ressources humaines ont donc dû réagir. Aussi bien en direction des salariés que des managers.
Les cabinets de conseil, de formation et de coaching ont constaté un accroissement de la demande, en particulier pour les managers. Ces derniers ont ainsi été invités à travailler leur propre écologie, à clarifier leurs priorités, à distribuer leur temps efficacement. « Pour manager à distance, il faut d’abord savoir se manager soi-même », résume Emmanuelle Charrier. Nelly Dubout, du cabinet de formation et de coaching Birds Conseil (voir interview page 12), a noté des demandes pour du coaching de relation, notamment entre managers et direction. « Dans certains cas, cette relation s’est abîmée, et nous avons noté un investissement des RH dans ce domaine », dit-elle. Enfin, nombreuses sont les équipes ressources humaines qui souhaitent mettre sur pied des formations ou du coaching pour du management hybride, sur la base d’une coconstruction avec les équipes elles-mêmes, tant sur la philosophie que des bonnes pratiques. Avec la volonté, à l’issue de la pandémie, que chacun soit préparé à ce nouveau mode de travail.