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Le fait de la semaine

L’intéressement bientôt « déconfiné » ?

Le fait de la semaine | publié le : 10.05.2021 | Gilmar Sequeira Martins

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Rémunérations : L’intéressement bientôt « déconfiné » ?

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Alors que les négociations de branche sur les accords types sur l’intéressement sont à l’arrêt, ce dispositif d’épargne salariale pourrait prendre de l’ampleur grâce aux récentes mesures décidées par le gouvernement et aux nouveaux outils mis à la disposition des entreprises.

Tout avait pourtant bien commencé. En octobre 2019, Muriel Pénicaud, alors ministre du Travail, avait impulsé un mouvement inédit avec une rencontre entre les ambassadeurs de l’épargne salariale – François Perret et Thibault Lanxade, rejoints depuis janvier 2020 par Carole Couvert, ex-présidente de la CFE-CGC aujourd’hui vice-présidente du Cese – et les représentants d’une cinquantaine de branches professionnelles. La démarche s’inscrivait alors dans la droite ligne des objectifs fixés par la loi Pacte promulguée en mai 2019 : faire passer de 1,5 à 3 millions le nombre de salariés bénéficiaires d’un dispositif d’intéressement.

Quatorze accords ont été conclus, puis la crise sanitaire est arrivée. Dans la branche de la publicité, les négociations ont, malgré tout, abouti en janvier 2020. Mais Foued Maazouza, négociateur de la F3C Communication Culture Conseil, affiliée à la CFDT, en dresse un bilan nuancé : « Le document permet de mieux appréhender l’intérêt d’un accord : il donne des exemples et permet d’adapter l’accord type à la situation de l’entreprise. Le chef d’entreprise doit malgré tout se faire accompagner par son expert-comptable. Nous voulions quelque chose de plus engageant qui assure un partage de la valeur dès qu’il y a une création de richesse. Je ne suis pas sûr que la promotion auprès des entreprises ait été à la hauteur des besoins. »

Mesures de simplification

Depuis le premier confinement, en mars 2020, le chantier des accords de branche sur l’intéressement est, en tout cas, au ralenti. Pas au point mort pour autant, selon Thibault Lanxade : « Même si le chantier n’est pas encore en dynamique, compte tenu de la situation sanitaire, le gouvernement a cependant fait avancer le sujet avec des mesures de simplification. Il a notamment pérennisé le système de prime dite “Macron”, qui peut atteindre 2 000 euros si un accord d’intéressement a été conclu préalablement ou si des mesures ont été prises pour les salariés de “deuxième ligne”. »

Il rappelle qu’il est désormais possible aux chefs d’entreprises de moins de cinquante salariés, si aucun accord n’a abouti avec les IRP ou le CSE, de prendre une décision unilatérale sur l’intéressement, grâce à la loi du 17 juin 2020. Il fonde aussi des espoirs sur la récente simplification du calcul de la participation. « Au lieu de la formule légale, l’entreprise peut en employer une autre, à condition que son impact soit équivalent ou mieux disant que celui de la formule légale, pointe Thibault Lanxade. Cela peut être un pourcentage du bénéfice net comptable. Cette base a l’avantage de pouvoir être suivie mensuellement et elle est compréhensible pour les salariés. » Pour François Perret, la possibilité accordée aux petites entreprises de conclure des accords expérimentaux d’une durée d’un à trois ans est un outil qui permet de réduire « l’obstacle du manque de visibilité ».

Les accords d’intéressement vont-ils, pour autant, se multiplier à l’automne ? Thibault Lanxade reconnaît qu’il existe « une volonté très forte de faire en sorte que les entreprises, en particulier celles qui emploient des salariés de “deuxième ligne”, puissent utiliser massivement le dispositif de prime dite « Macron » » et postule que « son impact en 2021 soit comparable à celui des distributions précédentes », ajoutant qu’il « faut clairement l’étendre aux salariés de la « deuxième ligne » ».

Pour favoriser l’intéressement, François Perret propose une nouvelle piste, en l’occurrence « arrimer » ce dispositif aux accords de performance collective (APC) introduits par les ordonnances Travail de 2017 : « Il y a là une opportunité de ramener un bon équilibre dans les APC avec une clause de retour à meilleure fortune articulée à un accord d’intéressement. À court terme, les salariés fournissent un effort en pleine crise sanitaire et économique, y compris avec d’éventuelles baisses de rémunération, mais, à moyen terme, il y aura une meilleure répartition des fruits de la croissance. »

Cannibalisation des NAO ?

Une perspective qui soulève des objections parmi les syndicats de salariés. « Je suis mitigé sur la possibilité de coupler un accord d’intéressement à un accord de performance collective, explique Foued Maazouza. L’intéressement, c’est du partage de la valeur créée, c’est une gratification qui vient récompenser l’engagement des salariés. Il ne doit pas être assimilé à du salaire. »

Cette dynamique ne risque-t-elle pas par ailleurs d’entraver les négociations annuelles obligatoires ? « Les effets de substitution entre rémunération du travail fixe (le salaire) et épargne salariale ne sont sans doute pas tout à fait nuls, reconnaît François Perret. Ils peuvent atteindre 15 % selon des études réalisées en amont de la loi Pacte. Mais combiner une logique d’épargne salariale et de progression du pouvoir d’achat est possible. »

Une position qui suscite des réticences syndicales. Force ouvrière met en avant ses craintes de voir l’intéressement se substituer à la négociation salariale. « Lors de la présentation du bilan de la négociation collective au sein du CNNCEFP, les chiffres de 2019 montrent déjà cette substitution, indique Karen Gournay, chargée de la négociation collective et des rémunérations. En 2019, 41 % des accords d’entreprise portaient sur l’épargne salariale et 22 % seulement sur des augmentations de salaires. En 2018, nous avions déjà constaté cette dynamique. En réalité, nous assistons à un gel des salaires au bénéfice de l’épargne salariale, pour essayer de limiter la grogne des salariés, mais l’épargne salariale ne permet pas de garantir une progression pérenne du pouvoir d’achat et elle risque d’engendrer des inégalités entre salariés en raison des critères différenciés d’attribution, principalement dans le cadre de l’intéressement. » La centrale dirigée par Yves Veyrier souligne par ailleurs que « la recherche de performance collective peut conduire à des changements d’organisation et avoir un impact sur la santé des salariés », le risque étant selon FO encore plus important pour les plus précaires.

Comment sortir de la situation actuelle ?

François Perret estime qu’il faut réduire le nombre d’outils disponibles : « Il existe un risque de cannibalisation de la prime dite Macron. Maintenir durablement les deux dispositifs serait dommageable, d’autant que le niveau d’éducation financière des entreprises demeure perfectible. Il vaut peut-être mieux ne pas proposer trop d’options et se concentrer de nouveau sur l’objectif de stimulation de l’épargne salariale. En d’autres termes, ma préférence serait que la prime de pouvoir d’achat reste exceptionnelle et qu’elle ne soit pas indéfiniment pérennisée. » Si cette option était retenue, le débat entre les tenants d’un poids plus fort de l’intéressement dans la rémunération globale des salariés et les partisans d’une augmentation des salaires reprendrait de plus belle.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins