logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Les clés

Maladies professionnelles : autopsie d’un régime en crise

Les clés | À lire | publié le : 03.05.2021 | Lydie Colders

Image

Maladies professionnelles : autopsie d’un régime en crise

Crédit photo Lydie Colders

Dans Cent ans de sous-reconnaissance des maladies professionnelles, des chercheurs analysent l’héritage drastique des législations liées aux pathologies du travail. Un livre édifiant, où ils appellent à réformer un système chroniquement insuffisant.

Cancers, TMS : la sous-reconnaissance des maladies professionnelles reste « un fait social massif », en France comme dans d’autres pays industriels, selon les historiens et sociologues auteurs de ce livre. Écrit à l’occasion du centenaire de la loi de 1919 qui a introduit la notion de maladie professionnelle, cet ouvrage collectif étudie « les résistances » politiques à indemniser les pathologies liées au travail, phénomène toujours actuel en France, mais aussi en Espagne ou en Belgique. Dès l’origine de la loi française, la position de financeur des employeurs jouera dans la négociation paritaire des tableaux de maladies professionnelles, et le système sera « peu avantageux pour les travailleurs », expliquent ces spécialistes de la santé au travail. Et cette « asymétrie des ressources » favorable au patronat siégeant à l’AT-MP n’a pas changé depuis, selon eux. Mais ils critiquent aussi « l’inertie » des pouvoirs publics. La décision de l’État en 1996 de transférer annuellement une part de l’excédent de la branche AT-MP vers celle du régime général maladie de la Sécurité sociale « symbolise l’absence de volonté de réformer le système » et renforce « l’invisibilité des origines professionnelles de nombreuses maladies et décès ». Très détaillé, nourri de rapports officiels, l’ouvrage dresse un bilan sévère d’un siècle de carence, éclairant sur la sélection drastique des « tableaux » reconnaissant les cancers professionnels, de la houille jusqu’à l’amiante dans les années 1990. Cancers largement sous-estimés, TMS aux conditions durcies en 2011, la législation s’avère toujours « incapable de réparer correctement les maux du travail ». Certes, ces chercheurs en santé au travail reconnaissent des progrès : en 1993, la décision de l’État de créer des Centres régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) pour les maladies « hors tableaux » constitue à première vue une avancée. Mais elle tend aussi à « déporter le problème » et à « devenir une voie de recours majeure », notamment face à la montée des risques psychosociaux.

Un système à deux vitesses

À lire à ce sujet, la contribution intéressante de Rémy Ponge, sociologue à l’Inserm, sur l’histoire des CRRMP et les débats houleux entre patronat et syndicats sur la reconnaissance « des maladies psychiques » professionnelles. Pour lui, plus que le lien de causalité, le système se heurte encore à une notion juridique de reconnaissance des pathologies « construites sur la souffrance des corps », avec des taux d’invalidité partielle élevés (25 %) qui « font obstacle ». Résultat : alors que la souffrance au travail explose dans les rapports officiels, seules « 990 affections psychiques ont été reconnues par les CRRMP en 2018 », note-t-il. Tableaux ayant peu évolué, « effets pervers » des centres régionaux noyant les causes des maladies, pénurie de médecins du travail, disparition des CHSCT : les chercheurs plaident pour réformer en profondeur ce système de reconnaissance et d’indemnisation inadapté et injuste. En 2017, à peine la moitié des 110 000 demandes de reconnaissance de maladie professionnelle a été acceptée, rappellent-ils. Un problème politique avant tout…

Auteur

  • Lydie Colders