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Télétravail : Les nouveaux accords se penchent sur l’organisation du travail

Le point sur | publié le : 03.05.2021 | Gilmar Sequeira Martins

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Télétravail : Les nouveaux accords se penchent sur l’organisation du travail

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Si le caractère massif du télétravail n’a pas encore débouché sur une multiplication des accords d’entreprise, les négociations sont désormais centrées sur des enjeux d’organisation plutôt que sur les droits individuels des salariés.

La crise sanitaire qui perdure a placé des millions de salariés en télétravail contraint, mais elle n’a pas pour autant déclenché une avalanche d’accords dans les entreprises. Selon l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), leur nombre progresse régulièrement mais il n’a culminé en 2020 qu’à 700 signatures. « Cela ne représente que 3 % du total de tous les accords », précise Karine Babule, chargée de mission au département Expérimentations de l’Anact, qui rappelle que le télétravail ne fait pas partie de la liste des thèmes qui doivent être impérativement abordés dans les négociations sociales.

Les négociations sur le télétravail n’ont rien d’un fleuve tranquille, souligne d’ailleurs Jean-François Foucard, secrétaire national de la CFE-CGC : « Il y a des frottements sur le nombre de jours, les populations éligibles, les frais de prise en charge et la question de la gestion du temps de travail. » Même lorsqu’elles aboutissent, les négociations peuvent laisser une impression mitigée, comme chez PSA où un accord a été conclu en avril après dix mois d’échanges. « Nous avons signé cet avenant pour sortir de la situation actuelle où les salariés sont astreints au télétravail sans aucune indemnité », explique Anh-Quan Nguyen, délégué syndical central CFE-CGC. L’avenant prévoit un remboursement de 50 % des dépenses d’équipement avec un plafond de 300 euros de dépenses et une indemnité forfaitaire de 10 euros par mois, quelle que soit la formule de télétravail. Des mesures qui vont être rediscutées tous les trois ans. « Ce n’est pas complètement satisfaisant, vu les économies réalisées par le groupe grâce au télétravail, note le syndicaliste. En moyenne, un poste de travail sur site en banlieue parisienne représente, selon nos calculs, un coût annuel de 8 000 euros, le double dans certains quartiers de Paris. Nous avons demandé une négociation sur le partage des économies réalisées grâce au télétravail mais la direction a refusé d’aborder cette question. »

Désynchronisation des journées

La gestion du temps en télétravail pourrait constituer une autre pierre d’achoppement. « Certains salariés veulent gérer leur journée de travail en fonction de leurs besoins, note Jean-François Foucard. Cela amène à une désynchronisation des journées et crée des frictions avec les employeurs qui veulent que les salariés soient disponibles de telle à telle heure. Il faut donc se poser la question de la plus-value du collectif et cerner quelles plages doivent être consacrées au collectif. Cela oblige à se poser des questions sur l’organisation, comme lors des 35 heures. » Il en déduit que « le collectif doit primer » dès lors que le nombre de personnes en télétravail augmente. « Si c’est l’inverse, le collectif va en pâtir et donc la productivité. Le télétravail ne doit pas être envisagé comme un droit mais un mode d’organisation. » Une position qui recoupe celle de la CGT. « L’extension du télétravail comporte le risque de voir disparaître le collectif de travail, qui est important pour assurer plus de réactivité et d’innovation mais aussi susciter des propositions », note Fabrice Angéi, membre du bureau confédéral de la CGT.

À l’Anact, Karine Babule souligne une évolution dans l’approche des entreprises : « Avant la crise, elles avaient une approche au cas par cas. Aujourd’hui, elles tendent à adopter une approche plus collective et organisationnelle, moins basée exclusivement sur des considérations individuelles ou sociales – parentalité, handicap –, bien que les deux approches soient tout à fait importantes et complémentaires. »

L’Anact a mené une étude approfondie sur une cinquantaine d’accords et d’avenants conclus entre juillet et novembre 2020 (25 % des accords sont signés dans les entreprises de moins de 50 salariés, 40 % dans celles de 50 à 250 salariés et 25 % dans celles de 250 et plus). « Parmi eux, beaucoup de premiers accords ont pour but de formaliser les pratiques », note Karine Babule. Établis dans une optique de cadrage, « voire de restriction », ils impliquent par exemple que soit établi un avenant détaillé au contrat de travail, difficile à modifier et avec un haut degré de formalisme. « On peut faire l’hypothèse que la conclusion de ce type d’accord est liée soit au secteur, dont une grande partie des activités étaient peu télétravaillées ou télétravaillables jusqu’alors, et/ou à une culture managériale dont le présentiel est un élément structurant. Le télétravail est un processus que les équipes intègrent progressivement, de même que les acteurs du dialogue social, d’où la prudence de ces accords », estime Karine Babule.

Dimension organisationnelle

L’étude de l’Anact, dont les résultats devraient être rendus publics en juin, note que les accords les plus flexibles sont des avenants, autrement dit des textes de « deuxième », voire de « troisième » génération. Si ces accords de « second niveau » visent à encadrer le télétravail tout en élargissant le champ des possibles (plus de jours, de souplesse et moins d’exigences dans les avenants), ils mobilisent encore des processus lourds. Les demandes de passage en télétravail impliquent un nombre important d’acteurs et du reporting supplémentaire. « Ils manifestent une forme de défiance », conclut la spécialiste de l’Anact. Certains accords étudiés par l’Anact se démarquent en s’orientant vers un assouplissement du cadre et des modalités du télétravail. Faisant parfois mention de « télétravail partiel », ils précisent les paramètres qui rendent une activité non-télétravaillable. Enfin, quelques accords pionniers évoquent « les nouvelles formes de travail, le travail hybride, les usages des espaces de travail – le plus souvent le binôme télétravail et flex-office – ou encore les tiers lieux ». Les modalités de coconception ou de suivi de l’évaluation y sont plus détaillées.

Contraints par le caractère massif du télétravail, les accords semblent donc s’orienter vers une dimension organisationnelle qui déborde du droit individuel. Un sujet que nombre d’entreprises préfèrent mettre en mode « pause » à l’heure où s’annonce la reprise de l’activité.

L’angle mort de la surconnexion

Dans la cinquantaine d’accords sur le télétravail analysés par l’Anact, aucun ne prévoit que soit vérifiée la prise des temps de repos. Ils mentionnent, en revanche, le droit à la déconnexion en mettant l’accent sur le comportement individuel et en indiquant qu’il « faut éviter les flux entrants-sortants hors du temps de travail » afin d’assurer le respect des temps de pause et de repos et le bon usage des outils numériques. Un angle mort qui pourrait avoir des conséquences indésirables, selon Karine Babule : « Il y a là un écueil car ces accords ne font pas le lien avec les causes de surconnexion, en particulier la charge de travail, les reportings supplémentaires ou l’incertitude vis-à-vis du parcours professionnel et le futur de l’entreprise, qui peuvent pousser à une forme de présentéisme numérique. Nous préconisons donc un travail sur les causes de la surconnexion. »

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins