Numérique, énergies propres, santé : les grands groupes et les Gafa tirent surtout profit de la recherche publique, selon l’économiste Mariana Mazzucato. Dans L’État entrepreneur, elle décrypte le rôle clé des investissements publics dans l’innovation. Et appelle les États, américains ou européens, à en récolter les fruits.
Plutôt que des mesures fiscales des États pour encourager la R&D en entreprise, mieux vaudrait se rappeler que Google, les sociétés de biotechnologies ou l’industrie pharmaceutique ne seraient rien sans la recherche fondamentale et l’investissement public. Renversant la vapeur, ce livre de l’économiste américano-italienne Mariana Mazzucato, paru en 2013 et désormais traduit en France, s’inscrivait à l’époque en réaction à la crise des subprimes et aux cures d’austérité des États européens. Mais sa réflexion détaillée sur l’importance des États, appelant à en finir avec le mythe des « inventeurs de génie », n’a rien perdu de son acuité. Prônant un capitalisme régulé, l’économiste keynésienne, enseignante en innovation, retrace l’importance des stratégies publiques aux États-Unis, en particulier dans la révolution numérique. Outre l’histoire très documentée d’Apple, qui doit « beaucoup à l’État » avec les investissements publics dans le silicium, elle rappelle que Tesla n’aurait sans doute jamais réussi ses débuts dans les voitures électriques sans un prêt public de 465 millions de dollars. Idem, dans la santé, l’auteure souligne « que seuls un quart des nouveaux médicaments » inventés viennent de l’industrie pharmaceutique, montrant que la R&D sert surtout à répliquer des médicaments vendus à prix d’or. La palme revient surtout aux laboratoires publics. Pour elle, « les fonds privés ne prendront jamais seuls de tels risques » d’invention, longs et incertains.
Le propos fait mouche en cette période de pandémie, où les laboratoires privés bénéficient des recherches et de financements publics conséquents aux États-Unis pour fabriquer des vaccins. Vibrant réquisitoire pour une stratégie publique, qu’elle file jusqu’à la « révolution verte », Mariana Mazzucato n’oppose pas public et privé. Mais plaide pour que les États récupèrent « les succès » qui profitent aux multinationales et « repèrent mieux leurs investissements ». Impossible selon elle de lutter contre l’évasion fiscale, et les taxes sont facilement contournables. Son livre suggère d’autres pistes, « comme une redevance » payée par les entreprises (si l’investissement est directement lié à l’innovation publique) pour alimenter « un fonds national de l’innovation » ou des prêts d’État soumis à condition. Une vision assez anglo-saxonne, mais intéressante.