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Le grand entretien

« L’autonomie des collaborateurs dépend du lâcher-prise du manager »

Le grand entretien | publié le : 26.04.2021 | Lucie Tanneau

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« L’autonomie des collaborateurs dépend du lâcher-prise du manager »

Crédit photo Lucie Tanneau

Le télétravail, qu’il soit contraint ou choisi, nécessite de développer l’autonomie des collaborateurs. Les managers doivent donc renforcer la confiance qu’ils accordent à leur équipe, dans une perspective de développement à distance des emplois de demain.

Vous relevez que le télétravail, mis en place depuis un an avec la crise, a été salvateur pour les économies occidentales, bâties sur le secteur tertiaire. Ce fonctionnement a-t-il répondu aux attentes des salariés sur les sujets du télétravail et de l’autonomie dans le travail ?

C’est à double tranchant. On observe des différences selon les individus. Les jeunes télétravailleurs supportent moins bien le télétravail : c’est contre-intuitif car on se dit qu’ils sont plus à l’aise avec les outils, mais ils vivent dans des plus petites surfaces et ont besoin d’appartenir à un groupe. Cela fonctionne davantage chez les personnes qui connaissent parfaitement l’entreprise et ses rouages, dont le métier est compatible avec le télétravail, et qui ont une certaine autonomie – dans le sens auto-nomos, c’est-à-dire qui a intégré les règles du travail.

L’autonomie est un besoin exprimé par les salariés depuis des années. Pourquoi les entreprises ont-elles tant de mal à le satisfaire ?

Il n’y a pas d’études sur le sujet. Mon opinion est que l’autonomie dépend du rapport de confiance qu’a un manager avec ses collaborateurs. Cette confiance dépend de trois critères : l’expertise – « Je sais que le collaborateur fait bien son travail » ; la bénévolence – « Je sais qu’il le fait pour servir l’entreprise » ; et l’honnêteté – « Je sais qu’il sera honnête ». Un manager se posera toujours ces questions, et beaucoup refusaient le télétravail car ils ne voulaient pas affronter une mise à l’épreuve de cette confiance. Ils préféraient la surveillance, alors même que certains parmi leurs équipes ne faisaient rien derrière leur écran.

Comment apprendre à ces managers à fonctionner avec cette autonomie et cette mise à l’épreuve obligées ?

Avec un mot d’ordre : le lâcher-prise. Ou plutôt le lâcher-prise mesuré, c’est l’ancienne manager qui parle. Je m’explique : quand on a recruté un collaborateur – dans le tertiaire, pas en production où le travail est plus mesurable –, on a pu en tant que manager mesurer depuis un an le travail effectué à distance. La confiance ne se mesure pas mais le résultat du travail et de la productivité sont visibles. Est-ce que la personne reste proactive ? Ce sont des éléments qui s’analysent. Maintenant, si le refus du télétravail se fonde sur de l’idéologie, il faut que le manager se remette en question…

Comment gérer à distance la question du contrôle demandé par les organisations et nécessaire pour un certain nombre d’équipes ?

Qui demande du contrôle ? On n’a jamais été autant surveillé ! C’est facile de mesurer le nombre de mails que vous envoyez ou l’adresse IP d’envoi, si vous êtes connecté sur Teams… Les ERP véhiculent des tas d’informations. Ces outils-là existent depuis au moins 1998 et les outils de gestion dans les grosses entreprises ont plus de vingt ans. La question est de connaître les horaires de chacun, ou d’accepter la mise à l’épreuve de la confiance. Des entreprises fonctionnent à distance depuis longtemps. Désormais, la quasi-totalité de l’économie a éprouvé la distance avec la crise, et la question est désormais de savoir comment se rencontrer pour maintenir ce mode de fonctionnement-là.

La distance forcée permet-elle la coopération indispensable à l’avancée des entreprises ?

J’ai envie de dire oui car nous sommes des individus et nous sommes par définition agiles. Si on perd le côté machine à café et innovation pop-up, en innovation on sait que les trois quarts des personnes qui collaborent sont à distance donc, oui, c’est possible. J’ai dirigé des thèses d’individus que je n’avais jamais vus avant la soutenance, mais cela oblige à une posture spécifique avec son personnel : est-il en jogging ? Et alors ? A-t-il travaillé entre 2 et 3 heures du matin ? Et alors ? Cela pose une question de droit social mais pas de posture du manager.

Quel rôle devra jouer le DRH demain, au sortir du télétravail imposé par la crise et de ces organisations pensées dans l’urgence de la Covid ?

Le DRH est garant de deux choses : du droit social et du droit du travail, et de la santé mentale des collaborateurs. Il devra donc travailler avec le manager, non sur la logique de contrôle qui n’est pas sa place, mais sur gérer l’après. Il doit se poser la question du télétravail : revenir comme avant ou non ? Au niveau sociétal, clairement, il y a une demande forte et cela permet d’encourager la créativité en changeant les routines. Au niveau écologique, on a intérêt à encourager le télétravail et au niveau financier également pour les entreprises. Le DRH doit donc réfléchir aux métiers de demain, à l’accompagnement du manager sur le lâcher-prise, et au respect du droit du travail.

Comment un DRH peut-il amener sa hiérarchie à un management plus adapté au fonctionnement à distance ?

Dans les entreprises où le DRH est au Comex, il a du poids. Dans toutes les autres, il doit s’appuyer sur le CSE qui doit être une cellule d’alerte, et sur la législation, en rappelant que la direction encourt une responsabilité pénale si la santé d’un salarié est engagée. C’est un garde-fou non négligeable.

Vous étudiez la question du télétravail chez les femmes. Y a-t-il des différences sur ces questions d’autonomie et de contrôle ?

J’étudie le télétravail des femmes entrepreneures, qui dépend de trois typologies : elles télétravaillent pour des raisons familiales, ou temporaires, ou pour le style de vie. La différence entre les femmes et les hommes, même s’il est difficile de généraliser, est qu’à niveau égal, un dirigeant masculin aura tendance à tout déléguer, sauf le business et la stratégie. Une femme ne déléguera rien, alors même qu’elle s’occupe aussi de la majorité des tâches familiales. C’est un énorme problème. Le télétravail peut être considéré comme la panacée, mais il est dangereux pour les femmes car le temps gagné est consacré à l’entreprise ou aux enfants, mais la wonder woman n’existe pas !

Parcours

Sociologue de formation, Séverine Le Loarne-Lemaire est enseignante-chercheure et titulaire de la chaire de recherche Femmes et renouveau économique (FERE), à Grenoble École de management. Ses premiers travaux ont porté sur le contrôle et l’autonomie dans le management à la fin des années 1990. Elle a notamment étudié la mise en place des systèmes d’information qui obligent à des normes collectives et remplacent les processus individuels. Elle est, depuis, l’instigatrice d’un protocole de recherche portant sur la gestion du temps professionnel et du temps personnel à domicile, conduit auprès d’un panel de femmes entrepreneures.

Auteur

  • Lucie Tanneau