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Syndicats : La lente conquête des TPE

Le point sur | publié le : 12.04.2021 | Gilmar Sequeira Martins

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Syndicats : La lente conquête des TPE

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Conscientes des limites de leurs modes d’action actuels, les organisations syndicales (OS) commencent à sortir de leur zone de confort mais elles savent qu’il leur faudra faire preuve de patience pour s’implanter dans les TPE.

Les TPE, éternel désert syndical ? L’explication tient d’abord à l’histoire du syndicalisme, selon Yves Veyrier, le secrétaire général de Force ouvrière : « Le syndicalisme est né avec le regroupement des ouvriers dans l’industrie. Quand des milliers de salariés entraient chaque jour chez Renault Billancourt, il était plus simple d’aller à leur rencontre. Avec les TPE, les salariés sont dispersés et en contact constant avec leur employeur. Hormis les situations de tension, les négociations se font généralement de gré à gré. Il n’y a pas de collectif et le besoin de se syndiquer n’est pas immédiat. »

Dans les PME ou les TPE, tout est différent, convient Michaël Pinault, secrétaire fédéral de la fédération F3C (Culture communication conseil) de la CFDT, qui a lui-même travaillé dans une petite entreprise : « S’engager syndicalement n’est pas une prise de risque anodine et tout se sait. Si les relations se passent mal, le salarié risque le licenciement, même si personne n’a intérêt à bouleverser l’équilibre d’une petite structure. » Une situation qui tend à fausser la perception des réalités, selon Inès Minin, secrétaire nationale de la CFDT : « Certains employeurs disent que les salariés peuvent venir les voir à tout moment et discuter les problèmes. Ils ont l’impression que c’est du dialogue social mais, en réalité, il s’agit d’un dialogue professionnel sur le quotidien du travail. Les salariés ont peur d’être sanctionnés s’ils évoquent certains sujets comme le paiement des heures supplémentaires ou la charge de travail car il n’existe pas d’espace dans l’entreprise où les deux parties sont à égalité et qui permettrait aux salariés de réclamer le respect de leurs droits sans risquer de casser la relation avec leurs employeurs. »

Évolutions sociologiques

En arrière-plan, des phénomènes plus globaux sont aussi à l’œuvre, selon Jean-Dominique Simonpoli, directeur général de l’association Dialogues : « L’une des causes de ce phénomène est la difficulté des organisations syndicales à s’approprier les questions qui intéressent les jeunes générations. Sur l’environnement, les OS ont du mal à produire un discours audible par les jeunes. Cela révèle aussi un changement de comportement plus général. Il existe toujours des engagements en vue d’atteindre des objectifs mais les gens militent de moins en moins dans des organisations. Jusque dans les années soixante-dix, l’engagement se concrétisait par l’adhésion à une organisation qui portait des revendications et un projet de société. Les OS ont du mal à incarner quelque chose de neuf. La difficulté à attirer des jeunes est un défi pour le futur. »

Les organisations syndicales ont bien senti le danger. En analysant le mouvement des gilets jaunes, la CFTC a dressé un constat et adopté une nouvelle stratégie. « L’appartenance à une communauté est aussi un élément important de l’adhésion à une organisation, explique son président, Cyril Chabanier. Il faut développer le sentiment d’appartenance à une communauté pour assurer le développement des syndicats. C’est un constat qui nous engage dans une nouvelle approche de la relation entre le syndicat et ses membres. Plutôt que de les considérer comme des personnes rattachées à un syndicat, il faut au contraire amener le syndicat à la personne. »

Le constat s’est traduit par une application qui devrait être largement diffusée à partir de juin. Son atout : apporter des services et mettre en lien tous les adhérents afin de leur permettre de trouver des solutions dépassant le cadre professionnel. Un adhérent qui doit rester un ou deux jours dans une ville pourra trouver des collègues pour l’héberger. Un autre qui cherche un stage pour son enfant en classe de troisième pourra aussi trouver une entreprise… « La confiance qui naît entre collègues membres d’un même syndicat permet de tisser d’autres types de relations et de construire une communauté », estime Cyril Chabanier. Une partie des services ainsi proposés seront aussi ouverts aux non-adhérents afin de favoriser l’arrivée de sang neuf.

Renforcer la proximité

Cet outil a aussi un objectif à plus long terme : augmenter la durée de l’adhésion, qui tend à se réduire. Avec l’application, la CFTC compte la rendre moins tributaire de la présence d’un syndicat dans l’entreprise et des rapports humains directs. « La durée de l’adhésion doit être moins dépendante des facteurs locaux, résume Cyril Chabanier. C’est une question importante car nous observons que la durée moyenne d’adhésion se réduit du fait d’une hausse de la mobilité professionnelle. » Si le digital ne peut plus être une option, il ne peut pas se passer du contact direct, estime de son côté la CFDT. Dans le cadre de l’association nationale pour le dialogue social dans l’artisanat, la centrale réformiste a mis en place une offre d’activités sociales et culturelles Proximéo dont peuvent bénéficier les salariés et les employeurs du secteur. « C’est un moyen d’entrer en contact mais cela ne nous rendra pas légitimes aux yeux des salariés, estime Inès Minin. Il faut d’abord renforcer la proximité et la capacité d’accompagnement dans leur réalité quotidienne. » D’où le lancement d’unions interprofessionnelles locales en Bretagne. Une boutique a également été installée dans le centre-ville de Tours qui a déjà accueilli plus de 1 000 salariés, selon le syndicat. « Nous devons sortir de notre cadre habituel pour aller à la rencontre de ces salariés qui, pour beaucoup, ne vont rencontrer des syndicats à la Bourse du travail qu’en cas de problème », assure Inès Minin.

La F3C-CFDT souhaite mutualiser les moyens dont disposent les salariés des grandes entreprises pour les mettre au service de ceux des petites entreprises, avec des permanences, ou des salariés de grandes entreprises qui pourraient aller à la rencontre de ceux des TPE. Elle compte aussi avancer dans la « création de droit conventionnel » afin que les salariés des entreprises de moins de 50 salariés puissent également bénéficier de budgets d’activités sociales et culturelles.

Des commissions régionales toujours émergentes

Trois ans après les premières élections professionnelles organisées pour les salariés des TPE, la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi a créé les commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI). Composées de 20 représentants d’organisations patronales et syndicales issus des TPE et désignés par leurs organisations, elles ont trois attributions : conseiller les salariés et les employeurs sur la loi, prévenir les conflits et faire des propositions en matière d’activités sociales et culturelles. La loi prévoyait que les CPRI entrent en action à compter du 1er juillet 2017. Plus de trois ans et demi se sont écoulés et le constat est plus que mitigé. Selon Inès Minin, secrétaire nationale de la CFDT, « il n’y a pas de financement, ce qui fait que ces commissions ont du mal à démarrer ou à se mettre en œuvre », ce qui n’est pas le cas des CPRIA et des CPR-PL, structures similaires dédiées respectivement à l’artisanat et aux professions libérales. Faute de moyens, ces structures restent très peu connues des salariés des TPE. Le handicap sera d’autant plus difficile à surmonter qu’elles couvrent de grands bassins d’emplois, à l’instar de la CPRI d’Auvergne-Rhône-Alpes qui a la charge de 600 000 salariés. « Une commission paritaire départementale aurait plus de sens », estime Inès Minin.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins