La réforme de l’assurance chômage est dans les starting-blocks pour entrer en vigueur après presque quatre ans de cahots. Conçue en période de bonne santé économique pour soulager la trésorerie de l’Unédic et inciter le retour rapide à l’emploi, celle-ci pourrait se heurter cependant à un rebond de la crise économique et sanitaire. Plusieurs mesures emblématiques sont donc conditionnées à une amélioration notable des créations d’emploi.
Ce coup-ci, c’est la bonne ! Décret en main, le gouvernement pourra, à compter du 1er avril, mettre en œuvre le deuxième volet de sa réforme de l’assurance chômage, selon un calendrier perlé qui courra du 1er juillet 2021 au mois de septembre 2022. Pour l’exécutif, c’est l’achèvement d’un processus long et chaotique engagé dès 2017, quelques mois à peine après l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée. Avec un double objectif : inciter les chômeurs au retour rapide à l’emploi – quitte à les brusquer au passage – et soulager les finances de l’Unédic dans le rouge depuis plus de dix ans. Mais entre l’échec de la négociation initiale de 2017, la reprise en main du texte par le ministère du Travail, les broncas syndicales à répétition face aux ambitions affichées de raboter les droits des demandeurs d’emploi, les vitupérations patronales contre l’idée de taxer le recours aux contrats courts pour réduire la permittence et la précarité, le retoquage de dispositions jugées boiteuses par le Conseil d’État et la crise pandémique venue repousser encore et encore son entrée en vigueur à un horizon inconnu, le déploiement de la réforme aura davantage tenu du parcours du combattant que de la promenade de santé.
Cette fois cependant, la voici vraiment dans les starting-blocks, en dépit d’un ultime baroud des syndicats qui a pris la forme d’un texte commun signé par les cinq organisations réaffirmant leur opposition à la copie du gouvernement. Certaines centrales, CGT en tête, promettant même d’engager un nouveau recours devant le Conseil d’État contre un texte accusé de vouloir raboter les droits des chômeurs dans un contexte marqué par une année de dégringolade de l’économie et presque 320 000 destructions d’emploi. « Le gouvernement fait le pari d’un retour de la croissance et aux créations d’emploi dès le deuxième semestre 2021 en misant sur une réussite de la stratégie vaccinale… Selon nous, ce pari est risqué et les chômeurs pourraient en faire les frais, car si la croissance ne repart pas, ce sera la double peine. Non seulement leurs chances de retrouver un emploi n’augmenteront pas, mais ils verront leurs droits au chômage diminuer ! », alerte Marylise Léon, la numéro 2 de la CFDT. De son côté, l’exécutif mise sur une amélioration rapide de l’économie, conforme aux prévisions de la Banque de France et de Bercy qui tablent sur une croissance de + 6 % en 2022 et sur le succès des dispositifs d’aide aux reconversions professionnelles massifs type Transitions collectives.
Pour autant, le gouvernement s’est laissé des marges de manœuvre en conditionnant l’application de deux des mesures de la réforme à une situation de « retour à meilleure fortune », soit concrètement une baisse notable du chômage. C’est le cas du nouveau calcul du salaire journalier de référence sur lequel est appuyée l’indemnisation chômage. Selon les nouvelles règles, ce « SJR » ne devrait plus être calculé à partir des seuls jours travaillés au cours des 24 derniers mois, mais prendre en compte tous les jours… De quoi raboter sérieusement les allocations des travailleurs en contrats courts ou permittents, soit les plus précaires. Retoqué une première fois par le Conseil d’État, le dispositif a fait son retour dans la réforme, mais assorti d’un plancher de 43 % de jours non travaillés, excluant 290 000 demandeurs d’emploi de cette mesure qui aurait dû en toucher 830 000. Même traitement pour le durcissement des conditions d’ouverture des droits au chômage (six mois travaillés sur une période de 24 mois seront exigés pour être éligible à l’indemnisation au lieu de quatre aujourd’hui). Leur entrée en vigueur aux dates fixées (respectivement au 1er juillet et au 1er octobre 2021) n’aura lieu qu’à condition que le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi en catégorie A diminue de 130 000 entre avril et septembre 2021 et que le nombre de nouveaux contrats de travail signés atteigne un seuil fixé entre 2,4 et 2,7 millions sur une période de quatre mois consécutifs. Sauf atteinte de ces objectifs, l’application de ces deux items de la réforme sera remise au placard jusqu’à ce qu’ils soient atteints. Mais côté syndicats, on doute… « Au vu des signaux économiques, il est vraisemblable que ces objectifs soient remplis et que les chômeurs ne bénéficient d’aucun sursis », soupire Jean-François Foucard, secrétaire national emploi-formation à la CFE-CGC.
En revanche, les deux autres mesures de la réforme, elles, s’appliqueront bien en temps et en heure. La dégressivité de 30 % des allocations des demandeurs d’emploi dont le salaire dépasse les 4 500 euros brut mensuels (3 500 euros net environ) au bout du 7e mois d’indemnisation commencera bien à courir à compter du 1er juillet pour une effectivité en mars 2022 comme prévu. Et le bonus-malus sur les contrats courts – cette variation des cotisations patronales de 3 % à 5,05 % dans sept secteurs professionnels en fonction de la fréquence des recours aux CDD de courte durée – qui aura suscité nombre de passes d’armes entre l’exécutif et les organisations patronales courant 2019, pourrait devenir une réalité en septembre 2022. Sauf pour les branches particulièrement touchées par la crise à l’image de l’hôtellerie-restauration à qui il ne s’agirait pas de remettre la tête sous l’eau après un an de fermeture administrative. « Septembre 2022, c’est le moment où les partenaires sociaux rentreront en négociation pour la nouvelle convention triennale d’assurance chômage », rappelle Jean-François Foucard. Et d’ajouter : « C’est sans doute un hasard, mais la seule disposition dont l’application est prévue après l’élection présidentielle est précisément celle qui heurte le patronat… Pas sûr qu’on le voit un jour, ce bonus-malus. »
Le poids de la crise sur l’Unédic (17,4 milliards de déficit et 54,2 milliards de dettes fin 2020) n’a pas échappé à la Cour des comptes. Dans leur rapport de mars 2021, les Sages de la rue Cambon appellent la gouvernance du régime à engager une sérieuse cure d’amaigrissement via une nouvelle trajectoire financière moins prodigue. Difficile à entendre pour Éric Le Jaouen, président (Medef) de l’Unédic qui a dû prendre en charge un tiers de la facture de l’activité partielle pendant la crise et indemniser les chômeurs à l’emploi détruit par les conséquences du Covid. l’Unédic « a joué son rôle d’amortisseur social » durant l’année 2020, répond-il à la Cour. Quant à la trajectoire financière, « l’effort d’amortissement des dettes contractées pour répondre à la crise sera long, mais le modèle économique de l’assurance chômage a la capacité de dégager des excédents importants pendant les périodes où l’économie est dynamique ». Sur le sujet de la clarification de la gouvernance, en revanche, les deux parties s’accordent tant l’interventionnisme de l’État – garant de la dette du régime – brouille les cartes de longue date.