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Les clés

Les dessous de la « fabrique d’entrepreneurs » à l’université

Les clés | À lire | publié le : 22.03.2021 | Lydie Colders

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Les dessous de la « fabrique d’entrepreneurs » à l’université

Crédit photo Lydie Colders

Dans Business Model, la sociologue Olivia Chambard a enquêté sur les formations à l’entrepreneuriat qui ont gagné jusqu’à l’université. Des enjeux politiques aux pédagogies glorifiant l’entreprise, son livre critique ce virage « néolibéral » du monde académique. Un livre engagé.

Depuis vingt ans, l’enseignement supérieur a multiplié les formations à l’entrepreneuriat. D’abord cantonnée à de rares écoles comme HEC, la révolution numérique a conduit « un nombre croissant d’écoles, et dans une moindre mesure, d’universités, à développer ce type d’offre », observe la sociologue Olivia Chambard. Dans ce livre issu d’une thèse, elle restitue une enquête fouillée, étudiant de près une dizaine de cursus (HEC, licence professionnelle ou mastère en entrepreneuriat). Elle y ausculte cette mouvance politique, où l’enseignement supérieur, surtout universitaire, endosse aujourd’hui « un rôle inédit de laboratoire des idéologies capitalistes ».

Inculquer « l’esprit d’entreprendre »

Retraçant l’histoire de l’éducation à l’entrepreneuriat sur cinquante ans, partie très intéressante, la sociologue montre l’influence conjointe du Medef et de « l’offensive libérale » politique, du plan « Entrepreneuriat étudiant » de Valérie Pécresse en 2009 à celui de François Hollande en 2013 sur l’innovation, qui incitera les universités à s’emparer du sujet. Face au chômage, il s’agissait « d’inventer le manque d’esprit d’entreprendre » des jeunes, juge-t-elle. La sociologue s’attarde longuement sur les conséquences en matière de pédagogie. Dans ces formations à l’entrepreneuriat, l’université « dévalorise la théorie » et l’esprit critique pour adopter les codes de l’entreprise, déplore-t-elle : importance « du savoir-être » dans les admissions, enseignements pratiques (réalisation d’un business plan, business game…). Au travers d’entretiens avec des enseignants, Olivia Chambard illustre des tensions autour de cette « rhétorique libérale ». Elle y décrit des jeunes un peu perdus, qui abandonnent vite l’idée de créer une structure dans l’ESS, par exemple, « au profit de n’importe quelle création d’entreprise capable de générer des profits ». Même à l’université, les projets d’utilité sociale seraient « vite découragés ».

Inégalité des chances

Côté insertion des jeunes, les témoignages montrent sans surprise que leur capacité de créer une entreprise dépend du prestige du cursus, mais aussi « des moyens et du statut social de leur famille ». Certains diplômés de licence d’entrepreneuriat, issus de milieux modestes, après avoir tenté des projets sont « rattrapés par Décathlon », d’autres galèrent dans l’autoenpreneuriat précaire. Tandis que la jeunesse dorée ayant suivi HEC-Entrepreneurs monte des start-up florissantes, se targuant « d’avoir échappé » à une carrière de cadre chez L’Oréal… Le livre est une critique nourrie de la mentalité affairiste qui se diffuse dans l’enseignement public. Ces filières « masquent mal l’inégalité des chances » et seraient « un pansement contre le chômage » : une « écrasante majorité » de jeunes ne deviennent pas entrepreneurs, pointe la chercheuse. Une situation qui n’a pas dû s’arranger avec la Covid-19…

Auteur

  • Lydie Colders